A quelqu’un (un critique, un journaliste, un quidam …) qui lui faisait observer que ses poèmes étaient difficiles, pas possibles à comprendre pour tout le monde, E.E. Cummings a offert une réponse belle comme le tranchant d’une dague :

- Mes poèmes sont pour vous, pour moi, je ne connais pas tout-le-monde.

Cummings dessinait beaucoup, aussi, et ses dessins étaient très simples. On peut rêver à ce qu’il aurait pu offrir comme cinéaste.

Cummings est peut-être le plus grand poète du siècle passé – mais la seule idée de palmarès n’a pas grand sens. « Anyone lived in a pretty how town » est peut-être le plus beau poème d’amour (des êtres et de la vie) jamais écrit.

Très difficile peut-être, ou plus que simple ?
Il suffit de lui laisser la parole, avec peut-être quelques précautions ;

Anyone et Noone n’ont pas (tout à fait) leur sens habituel. Disons que ce sont des noms propres, celui de l’homme et de la femme qui se trouvent, au milieu de la foule indifférente qui les entoure. « Someones married their everyones » - et des enfants qui seuls les voient, mais pas longtemps.

Autour il y a aussi le cycle des saisons, la succession des éléments naturels, sun moon stars rain, la vie.

Cummings malaxe la syntaxe. Il crée une langue – et il faut admettre que des idiomes, des mots outils – is, is’nt, did, didn’t – puissent être transformés en noms et vivre leur vie propre.

Il y a enfin la recherche d’un rythme obsédant, celui de la succession des jours, par vagues de huit syllabes, le plus souvent coupées 4/4, mais pas toujours, avec parfois un élément de trop, une rupture, comme celles de la vie. Dit ainsi, tout cela ne semble que technique - mais il suffit de se dire (à haute voix bien sûr et en anglais) le poème pour s’apercevoir que la technique ici n’est rien. Et ce rythme vous poursuit …

Emotion, cruauté, sérénité – la vie. Il ne reste plus qu’à céder la parole à Cummings pour s’apercevoir que le texte est aussi simple que beau.
(Je me suis risqué à la traduction – aussi fidèle que possible, avec quelques tentatives pour conserver ce rythme et retrouver aussi, à l’occasion, le jeu magistral sur les sons.

quelqu’un a vécu dans une jolie comment ville
avec tant de ces cloches balancées
automne hiver printemps été
il chantait son fait pas dansait son fait

hommes et femmes (tous tout petits)
ne se souciaient pas de quelqu’un
semaient leur n’est pas récoltaient leur même
soleil lune étoiles pluie

les enfants devinaient (mais pas tous)
et oubliaient en grandissant
été automne hiver printemps
que personne l’aimait plus par plus

quand par maintenant arbre par feuille
elle riait sa joie pleurait sa peine
oiseau par neige émoi par calme
quelconque quelqu’un fut tout pour elle

certains mariaient leur tout-le-monde
riaient leurs pleurs faisaient leur danse
(sommeil réveil espoir et puis) ils
disaient leur jamais dormaient leur rêve

étoiles pluie soleil lune
(et la neige seule est à même d’expliquer
comment les enfants peuvent oublier se rappeler
avec tant de ces cloches balancées)

un jour quelqu’un est mort je crois
et personne se baissa pour baiser sa face
des gens pressés les mirent en terre côté par côté
petit par petit et fut par fut

tout par tout profond par profond
et plus par plus ils rêvent leur somme
personne et quelqu’un terre par avril
souhait par esprit et si par oui

hommes et femmes (tous ding ding dong)
hiver printemps été automne
récoltaient leurs semis allaient leur vient
soleil lune étoiles pluie

http://www.poets.org/poetsorg/poem/anyone-lived-pretty-how-town
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le 11 juin 2014

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