Qu'on s'entende bien : j'ai aimé ma lecture.
J'ai ri, j'ai été émue, révoltée, tout ce que décrivent les autres critiques de Simple sur ce site, je l'ai ressenti. Mais j'ai quand même quelque chose à dire qui n'a, jusqu'ici pas été relevé, et qui m'a dérangée plusieurs fois.
Peut-être que vous n'y serez pas sensible, et que vous me traiterez de sale woke : vous aurez raison (et je ne vois pas le problème, si ça implique d'être attentif au sexisme ou au racisme...). Mais il y en a peut-être aussi parmi vous qui cherchent un livre sympa à offrir à de jeunes lecteurs et qui SONT sensibles à ce genre de sujets.
Bien sûr, je ne dis pas que Marie-Aude Murail est une infâme raciste, hein. Je propose une nuance, ici, pas un bûcher. Je ne souhaite cancel personne, loin de là, mais je pense qu'il est important de RECONNAÎTRE que, même dans les oeuvres qu'on aime, certaines choses sont problématiques. C'est en les reconnaissant et en les recontextualisant, en initiant une discussion à ce sujet, qu'on peut efficacement évoluer. C'est mon opinion, en tout cas. Bien, maintenant que ceci est dit, passons au dur.
Ce roman est adressé à la jeunesse, donc je suis assez surprise d'y trouver quelques occurences de slut-shaming : face à deux de ses camarades de classe venues pour une fête, Kléber est très prompt à considérer la première comme une pouffe parce qu'elle a un crop-top, et la seconde comme une pétasse parce que sa robe montre une épaule nue.
On ne reviendra jamais là-dessus.
Rajoutons à ça un peu de racisme et d'orientalisme : Kléber rencontre une jeune arabe de sa classe et projette automatiquement sur elle des fantasmes de harem ? Et plus tard lorsqu'il rencontre la famille de cette jeune fille, la petite soeur de cette dernière, qui est si jolie qu'elle attire les regards, se voile pour ne pas faire de compétition à sa soeur, alors Kléber a peur d'elle ???? Mais enfin, Marie-Aude, est-ce que tout va bien ?
Pourtant je sais qu'elle a co-écrit Golem, dont le personnage principal est berbère, mais je ne peux pas m'empêcher d'y voir la trace de l'imaginaire d'une femme blanche bourgeoise, et ça me laisse un arrière-goût déplaisant.
Finissons avec quelque chose qui ne nous étonne même plus : c'est dans tous les films romantiques, dans les séries, dans tant de livres, et c'est la raison pour laquelle tant d'hommes continuent, en 2024, de penser que "non" veut dire "oui" : une scène où Aria et son coloc sont dans la cuisine. Il lui fait sa déclaration d'amour, elle lui dit non, alors il s'avance et la coince contre l'évier, pour la forcer à l'embrasser. On a beau avoir l'habitude, c'est vraiment surprenant de trouver ça dans un roman pour enfant, surtout que cette scène n'est pas vue comme un problème mais comme le début de la réflexion qui mènera Aria à quitter son copain (pas une grosse perte cela dit) pour son agresseur, donc. Eh bah c'est parfait.
Et ça fait chier, parce que c'est vraiment quelques petites lignes par-ci par-là, c'est deux-trois mots qui auraient pu être enlevés ou changés pour traduire le sentiment recherché. Ca fait chier, parce que c'est un roman jeunesse et que si on leur laisse penser dès cet âge que c'est ok de traiter une femme de pouffe parce qu'elle porte un crop top, que c'est ok de forcer quand une femme dit "non" et qu'on est récompensé pour ça à la fin, comment leur faire accepter plus tard qu'une femme qui a subi une agression sexuelle n'est pas responsable, et ça peu importe sa tenue ?
Ca n'enlève rien à l'histoire de Simple, que j'ai adorée, et j'ai ri aux larmes plus d'une fois, mais le roman est quand même représentatif d'une pensée bourgeoise blanche que, eu égard à son année de sortie, on n'avait pas encore commencé à questionner à grande échelle.
Donc c'est un 7, pas plus, pour tous ces passages vraiment dérangeants.
Pour autant, je vais quand même l'offrir à mon neveu, mais pas sans avoir annoté quelques pages au crayon à papier avant.