Dès les premières pages, où le narrateur-personnage parle des poux qui l'envahissent dans l'école de banlieue où il enseigne le roumain, il ne fait guère de doute qu'on a affaire à un écrivain qui connaît son métier. Les souvenirs d'enfance alternent avec des passages merveilleux ou oniriques dans le genre borgésien et des descriptions kafkaïennes de la quotidienneté communiste. On comprend progressivement qu'on ne lit pas un roman, mais une sorte d'anatomie de la mélancolie du narrateur, un texte qui se veut contre le monde et contre la réalité. Bon. La maîtrise de l'écriture, la dimension réflexive (l'auteur est un universitaire qui connaît ses classiques), sans parler de la longueur du texte, évidemment, tout ça promet beaucoup. On se dit qu'on lit peut-être (enfin, de nouveau) un grand livre... Mais après quelques morceaux de bravoure, quelques ressassements auto ou pseudo-biographiques (et l'on a tôt fait de comprendre la névrose du narrateur), force m'a été de constater que la virtuosité tournait court ; de grand livre de la souffrance humaine, de moyen d'échapper à la rugueuse réalité (qu'il faille ou non prendre ce projet au sérieux, peu importe, il n'y en a pas d'autre à l'œuvre), on n'aura ici que la prétention, un brin grandiloquente, il faut bien le dire. C'est parfois très bon sur un plan technique, plus rarement - mais quelquefois tout de même - touchant, toutefois dans l'ensemble, ce n'est pas "génial" comme ça veut le faire accroire à mon sens, et l'ennui guette.