Mon cœur a beaucoup de progrès à faire…
Si j'ai toujours aimé le style de Poppy Z.Brite - sec et sans sucres, dépourvu de verbiages ou de fioritures - j'ai toujours préféré ses nouvelles à ses romans, où elle paraissait moins à l'aise ou trop tentée de s'étendre sur la trame de fond plutôt que le fil conducteur.
Et c'est exactement le problème de "Soul Kitchen". Le livre débute avec un avant-goût légèrement polar, ce qu'il faut, posant une ambiance légèrement "film noir" avant de basculer sur les deux héros, des personnages récurrents dans la bibliographie de Brite. Jusqu'à la moitié du livre, j'ai eu la sensation de lire un premier chapitre : mise en place du décor, des personnages, de leur psychologie et de leurs relations. Si tout ceci est fait avec une simplicité des plus efficaces, si Brite sait nous plonger dans cette Nouvelle-Orléans et sa cuisine qu'elle semble adorer, il n'en reste pas moins qu'il ne se passe finalement pas grand-chose. C'est la vie comme elle va, la recherche de bonheur de Rickey et G-Man avec en filigrane les injustices et l'hypocrisie, la bêtise et la vanité humaine, c'est montrer les mécanismes lents de l'addiction et du "Burn out", c'est parler au lecteur de ce poison que le quotidien injecte régulièrement en nous. Tout ça en parlant de bouffe : familiale, expérimentale, délirante, exotique, Brite déroule un tapis de saveur par ses mots, toujours justes. Mais l'introduction laisse le lecteur dans l'expectative, celle d'une résolution (on y parle de meurtre et de victime d'erreur judiciaire) : l'entrée était un polar, ce qui suit s'apparente plus à une tranche de vie, sans beaucoup de liant entre les deux. La résolution viendra. En quatre pages, tragiques, venant troubler le calme de l'histoire. Pourtant, cela n'apporte rien de plus : même Rickey, témoin des événements, semble s'en foutre complètement. Alors imaginez un peu le lecteur...
Ce n'est pas tant l'absence ou la présence de cette intrigue de fond que je reproche à "Soul Kitchen", c'est son inadéquation avec l'ambiance et le propos global. Un peu comme si on vous avez arrosé un magret de canard de glace à la vanille : vous aimez les deux, certes, mais l'un gâche le goût de l'autre. Pourquoi mettre en avant cette affaire de meurtre qui s'avère somme toute très secondaire ? Comme l'arbre qui cache la forêt, elle détourne le lecteur de ce qui est réellement intéressant dans "Soul Kitchen" et parasite la lecture...et vu la manière dont elle est expédiée - croyez-moi c'est le mot- on se demande bien quelle était son utilité. C'est réellement dommage car le récit est prenant, quoi qu'il n'ait pour ainsi dire aucun rebondissement réel, il parlera sans doute à chacun et l'évolution du personnage de Rickey est réellement intéressante. Mais avec son entrée en matière, "Soul Kitchen" trompe sur ses intentions. Dommage.