Malade, paranoïaque, en proie à des colères homériques et à des sautes d’humeur qui laissent son entourage pantois, Joseph Staline est plus que jamais un tyran. Âgé de 70 ans, reclus dans sa forteresse, il vient de se trouver un nouvel ennemi : la nature. Un vent pernicieux l’a en effet atteint et les experts mandatés ont décrété que ce courant venait de la mer d’Aral, un lac d’eau salée, situé en Asie Centrale. Et l’idée folle surgit : assécher cette mer et la remplacer par des champs de coton. C’est le jeune ingénieur Leonid Borisov qui se retrouve chargé de ce chantier.
Ce livre, basé sur une réalité historique et écologique, est le récit d’un drame. Un drame environnemental mais aussi la chronique de toutes les conséquences (sociales, économiques, humaines) que la perte de cette mer va entraîner. Car autour de la mer d’Aral vivent des communautés Ouzbeks qui dépendent d’elle, des marins qui vivent grâce à la pèche, un eco-système complet que la disparition de ce point d’eau de près de 70 000m2 va totalement modifier.
Pour parvenir à ses fins et satisfaire le petit père des peuples, Leonid Borisov va décider de détourner les deux fleuves, Amou-Daria et Syr-Daria, qui alimentent la mer d’Aral. Progressivement il va parvenir à réduire leur débit et à faire disparaître cette mer que Staline a pris en grippe.
Pour raconter ce véritable désastre Fabien Vinçon a choisi d’intégrer à son récit une histoire d’amour entre Leonid et une jeune Ousbek mais aussi des légendes et de purs moments de fééries et de magie qui vont venir déstabiliser le jeune ingénieur dans ses certitudes et remettre en perspective le bien-fondé de cette mission.
Au-delà de cet entêtement à éliminer l’étendue d’eau, c’est aussi la volonté de la Russie à uniformiser la pensée, la culture, les croyances de toutes les populations qui composent l’URSS qui est ici racontée. En parallèle se déroule donc tout un jeu politique, dépendant d'un tyran qui fait et défait les carrières, condamne ou élève au gré de sa fantaisie et auquel la majorité est soumise. L’absurdité et la folie ne sont jamais loin dans ce monde totalitaire.
Un livre passionnant qui mérite amplement qu’on s’y arrête car il jette un regard original sur une page d’histoire probablement un peu oubliée mais qui prend encore plus de sens compte-tenu des urgences climatiques et environnementales qui nous concernent aujourd’hui.