La délicatesse est-elle un défaut en matière de poésie ? Sully Prud'homme n'en manquait pas, et il faut croire qu'à plus d'un siècle de distance nous faisons encore payer au premier prix Nobel de littérature sa gloire quelque peu usurpée. Parnassien convaincu, cet auteur élégant ne mérite en fait ni l'excès d'honneur dont il bénéficia ni le mépris actuel attaché à son nom.
A côté de Hugo ou Baudelaire, Sully Prud'homme certes fait pâle figure mais doit-on pour autant le reléguer dans l'ombre ? N'ayant pas été le dernier à fustiger ses défauts, je me sens tenu aujourd'hui, par esprit de justice, de louer certaines de ses qualités. Les premiers sont connus : didactisme, sécheresse, inspiration inégale, souffle limité. Les secondes à l'évidence n'attirent pas assez l'attention : finesse, musicalité, intériorité, sens du pittoresque. Alors quand lesdites qualités sont cultivées avec constance et détermination, nous découvrons tout à coup un vrai poète. Abandonnant son style trop apprêté, trop tendu, Sully Prud'homme jette bientôt aux orties ses fadaises de surface pour devenir totalement lui-même, et une voix va se faire entendre, une voix subtile, douce et quelquefois profonde à laquelle le lecteur ne saurait demeurer insensible. "Les yeux" notamment, non sans sobriété, expriment toute une gamme d'impressions nuancées teintées de mélancolie dont le charme agit toujours sur moi. C'est à ce charme pour le moins oublié qu'il convient de revenir. Si Sully Prud'homme ne peut en rien rivaliser avec quelques-uns de ses grands contemporains, il n'en reste pas moins un écrivain estimable qui a su de temps à autre rencontrer la poésie et déposer au fond de nos cœurs de jolies perles rares.