Ce petit ouvrage est fort éloigné de ceux, écrits ultérieurement par son auteur, et sans doute aujourd'hui mieux connus, qui véhiculent les prises de position politiques de l'intellectuel engagé. Le linguiste est pourtant bel et bien le même bonhomme.
Je n'ai jamais été _enthousiaste_ des position de Chomsky en linguistique, non pas parce qu'il a effectivement et très justement révolutionné le champ, mais parce que cela sentait, philosophiquement, des partis-pris mal discutés - voire des présupposés savamment mis sous le tapis. Je me souviens en son temps avoir pris des notes en ce sens sur cet excellent petit opuscule, que je recommande vivement non parce que je m'y reconnaitrait des thèses, mais parce qu'il expose clairement certaines des position fondamentales de l'auteur sur la nature de la formation des phrases bien formées (grammaticalement juste).
Son travail intervenait à l'époque du boom de la cybernétique et de la première Intelligence Artificielle, exactement au moment où l'on pensait que les systèmes fondés sur l'ensemble bases de connaissances + règles de pattern matching/substitution (dits alors "Systèmes Experts") permettraient de modéliser et simuler toute performance d'un esprit humainn. On a certes déchanté depuis, et l'IA a dû s'enrichier non seulement de systèmes de règles bien plus complexes, mais surtout d'autres types de modélisation (connexionnisme, morpho math, Vie Artificielle) pour atteindre quelques performance dans des domaines qu'à l'époque pourtant on jugeait très facilement atteignables (la vision par exemple). Cela dit, le travail de Chomsky importait en linguistique le type de raisonnement qui était à l'époque en train de révolutionner un certain nombre de champs de recherche, au moins aux USA. Les systèmes qu'il propose ne sont rien de plus que des systèmes formels appliqués à une modélisation de la langue, mais surtout coordonnées à une analyse fine du donné (régularité des erreurs de syntaxe commises par les enfants, par exemple). Il y a donc une force certaine dans le système proposé, qui a grandement ensemencé la linguistique - d'autant plus qu'à l'époque, on était en plein structuralisme : si les justifications chomskiennes sont incompatibles avec les principes du structuralisme, les outils qu'il propose ne le sont pas !
Ce n'est bien sûr pas le dernier mot en matière de grammaire, et la recherche a de toute façon fort évolué depuis les années 60. Parmi les lignes d'investigation plus récentes, je connais par exemple la "grammaticalisation cognitive" (donc explicative, représentée par B. Heine, pour l'école allemande) et l'approche typologique (donc descriptive) de la syntaxe représentée en France par D. Creissels - tout cela vu de très loin, chu pas linguiste. Chomsky n'est donc pas le détenteur de l'ultime explication de la chose syntaxique. Mais s'il est - comme souvent les américains - parfois irritant à lire (opinions non-motivées), il reste toujours extrêmement stimulant.