Parménide est un autre philosophe qui prouve encore toute la richesse dont recèlent les penseurs Présocratiques. Véritable pilier de la philosophie, il a su dépasser les enseignements de ses «Maîtres» (tantôt Xénophane, tantôt les Pythagoriciens, suivant les incertitudes léguées par la tradition) pour proposer une étude de la pensée et, surtout, de l’être tout à fait capitale. Son œuvre peut être assez délicate à aborder de prime abord, mais il vaut le coup de persévérer pour en saisir toute la substance.
L’ouvrage de Parménide ne cède en rien à la beauté poétique, et s’ouvre comme une sorte d’inititation vous invitant à franchir les portes de la vérité :
«Et moi, la déesse en toute bienveillance m’accueillit, elle prit ma main droite
dans sa main, elle proféra ces paroles en s’adressant à moi :
Jeune homme, compagnon d’immortels cochers,
qui grâce aux juments qui te portent parviens à notre demeure,
bienvenue, car ce n’est pas un mauvais destin qui t’as conduit à prendre
cette voie, si loin des hommes qu’elle soit à l’écart du sentier battu,
c’est la règle, la justice. Il faut que tu sois instruit de tout,
et du coeur sans tremblement de la vérité bien persuasive,
et de ce qui paraît aux mortels, où n’est pas de croyance vraie»*.
Par cette allure, le Poème de Parménide tient bien sûr de la tradition Pythagoricienne sectaire et ésotérique. Parménide pose ensuite les bases philosophiques de la vérité, de la pensée : seul peut être appréhendé l’être ; qui est, et qui est un, inengendré et éternel – c’est là où l’on ressent l’influence de Xénophane – tandis que l’opinion s’attache aux sensibles, à savoir au non-être qui, par nature, n’est pas et n’apporte donc rien. La voilà, la vérité : seule l’être est intelligible. Cela peut sembler tout bête et pourtant, ce fut une révolution.
Les fragments VII et VIII sont les plus riches et exposent à eux deux les fondamentaux de la philosophie Parménidienne. Seul l’être peut être pensé car le non-étant est insaisissable, inconcevable. Penser le non-étant comme vrai, ce serait considérer qu’il est, ce qui est impossible : «car on ne peut formuler ni penser/ que n’est pas soit»**. Et c’est là un point important qui établit l’existence d’un discours vrai portant sur l’être et d’un discours de l’opinion portant sur le non-être, d’autant que l’être a une véritable existence physique. Comme dit plus haut, l’être est Un, inengendré et éternel. En effet, ce qui est ne peut-être né de ce qui n’est pas, donc l’être est inengendré, et de même, ce qui est ne saurait devenir autre chose que l’être, il est donc éternel. Enfin, l’être est Un car il ne peut être divisé, il se suffit à lui-même et - Parménide reprenant la leçon de Xénophane - il forme une figure parfaite… une figure sphérique !
«Alors, puisque la limite est à l’extrémité, il est fini
de partout, ressemblant à la masse d’une sphère bien ronde,
du centre déployant une force égale en tout sens ; car lui
n’a pas du tout besoin d’être ni plus grand ni plus petit ici ou là»*.
Je pense que vous voyez vers quoi mènera cette thèse ! Il existe donc une Vérité objective qui peut être atteinte par la pensée, qui est intelligible. De plus, Parménide se positionne sur ce point en totale opposition par rapport à Héraclite. Alors que l’éphésien a établi comme principe le mouvement perpétuel de toutes choses, l’éléate, lui, pose l’immobilité de l’être : «Rien en effet n’est ni ne sera/ d’autre à part l’étant, puisque c’est lui que le destin a attaché/ pour que complet et immobile il soit»****. Parménide s’oppose au mouvement, ou en tout cas à la possibilité d’envisager le mouvement de l’être, thèse qui sera par la suite défendue par son élève génial, Zénon, avec ses fameux paradoxes* * * * *.
Avec Parménide, la révolution philosophique est entamée. Thalès et Pythagore ont montré la voie et posé les fondements de toute la philosophie, Parménide va l’ouvrir à ce qu’elle a de plus noble : la métaphysique. Son Poème a eu une influence considérable, notamment grâce et à travers Zénon d’Elée qui fut son élève. Reprenant les théories du Maître, Zénon va les pousser encore plus loin, poser les bases théoriques qui mèneront à l’atomisme de Leucippe et Démocrite, fonder la dialectique et la forme du dialogue philosophique qui vont directement amener à l’œuvre monumentale de Platon qui, d’ailleurs, poursuivra lui-aussi les considérations de Parménide. Bref, vous l’avez compris, Parménide est un passage obligatoire et primordial si vous vous intéressez à la philosophie. Il ne reste que des fragments de son Poème, qui est parfois complexe à appréhender, mais n’hésitez pas à relire ces fragments, à triturer l’ouvrage, afin d’en tirer la substantifique moelle. Lisez Parménide, vraiment, cela en vaut la peine !
*Fragment I ; vers 22-30.
**Fragment VIII ; vers 8-9.
***Fragment VIII ; vers 42-45.
****Fragment VIII (encore lui!) ; vers 36-38.
*****Si l’on prend une distance AB, celle-ci est infiniment divisible en deux, sans pour autant que les points A et B ne se confondent jamais. Il est donc impossible de parcourir cette distance ! Ce n’est qu’un paradoxe parmi tant d’autres, mais ils ne servent pas uniquement à justifier l’impossibilité de concevoir le mouvement ; ils servent également à défendre les thèses parménidiennes (voire les dépasser) concernant l’Un et le multiple. Bon, je ne peux m’étendre outre mesure sur Zénon, ce n’est pas le sujet ici, mais je vous invite vraiment à vous pencher sur son œuvre très intéressante, et à vous orienter par exemple vers l’ouvrage Les écoles Présocratiques de Jean-Paul Dumont qui contient une synthèse des fragments de tous les plus grands Présocratiques, Parménide et Zénon inclus !