Le livre se décompose en trois parties aisément identifiables : 1) le fonctionnement de la punition pénale avant la Révolution française ; 2) Critiques de la rigueur de peines d'Ancien Régime et mise en place du système de la prison sous Bonaparte ; 3) Les causes du maintien du système de la prison qui, pourtant, n'a cessé d'être critiqué.
Malgré la clarté de l'exposé, le livre souffre de quelques lourdeurs ; la deuxième partie m'a semblée circulaire, revenant sans-arrêt sur le même propos. Pour le dire autrement, le livre aurait pu être sensiblement plus court.
Néanmoins, l'exposé m'a paru passionnant ; son propos non seulement donne un éclairage utile au phénomène de la modernité mais éclaire nos incessants débats sur la prison d'une lumière qui ne s'est pas tarie depuis.
Pour reprendre le propos selon les trois parties :
1° La punition, sous l'Ancien Régime, est un spectacle où le pouvoir du roi communique directement avec le peuple lors d'une grande fête. Le supplicié a une identité ambiguë ; on attend surtout de lui le repentir avant la mort, d'où la lenteur de l'exécution. Parfois, il a le soutien du peuple (cf. un contrebandier comme Cartouche) ; souvent, le peuple l'accompagne dans son repentir. Le pouvoir communique directement avec le peuple sur son désir de punir et le met au défi : étant présent, le peuple peut, par un mouvement de foule, mettre fin au supplice, ce qui a pu arriver.
2° Cette justice théâtrale et lugubre tend à être considérée comme inhumaine avec les Lumières. On veut une justice plus douce. Néanmoins, les Lumières critiquent fortement la peine de prison, quasi inexistante sous l'Ancien Régime et associée à l'arbitraire royal (cf. l'embastillement). On rêve d'une justice plus douce, toujours sous la forme du spectacle, et édifiant le peuple sous différentes formes. Néanmoins, par la force des choses, c'est la prison qui s'installe comme système total et définitivement enraciné vers 1820. La prison, en excluant peu à peu le peuple du spectacle pénal, établit un dialogue direct entre le prisonnier et le pouvoir. Celui-ci espère toujours sa rédemption, mais sous d'autres formes. Nouvelle notion : celle d'atteinte à la propriété privée. Qui donc a atteint à la liberté d'autrui, en particulier celle de posséder, sera puni en le privant de sa propre liberté. Le prisonnier devrait donc profiter de son séjour pour méditer sur le crime qu'il a commis et ne plus le répéter. Un encadrement disciplinaire accompagné d'ateliers, pour apprendre le goût du travail (l'oisiveté est mère de tous les vices), vise à faire renaître le prisonnier sous la forme renouvelée d'un citoyen idéal dans le cadre de ce que Foucault appelle, de manière générale, une « société disciplinaire » : par l'usine, l'école, l'armée, la bureaucratie, et la prison, donc, le pouvoir assume une fonction de façonnement des corps afin de les rendre dociles, stables, confinés dans leur sphère individuelle et dans une routine rassurante.
Néanmoins, les illégalismes se multiplient : on devient plus facilement hors-la-loi qu'auparavant, notamment en raison de la lutte contre le vagabondage qui met une partie importante de la population hors-la-loi sans qu'elle ne l'était auparavant. En outre, le réseau de surveillance policier se densifie et la prison elle-même permet d'obtenir des informations pour tracer le parcours du condamné une fois libéré. Celui-ci tend à récidiver : la prison multiplie les infractions, c'est une école du crime, constate-t-on rapidement. En outre, un prisonnier, c'est un salaire de moins pour une famille, laquelle est donc poussée au crime également pour subvenir à ses besoins. Presque immédiatement, la prison, système initialement non-souhaité, est également sévèrement critiqué, avec les mêmes arguments se répétant durant tout le XIXe siècle et jusqu'à nos jours.
3° Pourquoi donc la prison persiste-t-elle ? Ici, Foucault entre dans le domaine de la spéculation — d'aucuns y verront de la paranoïa, libre à eux de le penser. La prison est un système d'information : une « technologie de l'individu » qui va de pair avec une tendance générale à assurer au pouvoir une connaissance fine de sa population. Passé par la prison, l'individu est soigneusement enregistré : son histoire personnelle, ses méfaits, ses mœurs, son comportement durant son séjour en prison. Le philosophe Bentham a même conçu la prison comme un système de surveillance en soi : c'est le fameux Panoptique, système architectural où un gardien isolé dans une tour disposée au centre du dispositif, et dont on ne peut savoir par d'habiles procédés architecturaux s'il est ou s'il n'est pas présent, observe toutes les cellules orientées vers lui, grandes ouvertes avec les barreaux n'offrant aucune intimité possible. Cette idée a été marginalement mise en place dans certaines prisons mais Foucault la reprend pour en faire le symbole de la société moderne : le panoptisme, système qui consiste moins à réprimer le crime qu'à surveiller la population.
En effet, une fois libéré de prison, grâce aux informations acquises, le prisonnier est facilement traçable par les services de l'Etat. De fait, même s'il récidive, on devrait parvenir à remettre la main sur lui : la prison, à défaut de diminuer la criminalité, parvient à la contenir en gardant les criminels dans ses filets. En outre, la prison est aussi le lieu où la police pourra recruter des taupes, casseurs de grève et autres indics parmi les criminels, les prostituées, ou les militants politiques : le passage par la prison permet par ce biais supplémentaire d'accroître la surveillance de l'Etat sur la population.
Ce sont les raisons pour lesquelles Foucault estime que ce paradoxe a tenu bon et continue de tenir bon jusqu'à aujourd'hui : que ce système, invariablement condamné pour son inefficience, soit maintenu vaille que vaille. Le réel motif de la prison est moins de punir que de surveiller.
En guise d'ouverture ? Je sais que ce livre est aujourd'hui assez critiqué mais je confesse en ignorer les raisons. Je me tiens donc au raisonnement, aux intuitions géniales de Foucault, qui me semblent on ne peut plus avérées si on souhaite faire une lecture critique de la modernité en tant que système technique de contrôle, comme l'ont fait Heidegger, Ivan Ilitch, Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Alain de Benoist ou, plus récemment, Olivier Rey ou Michel Maffesoli : des personnalités d'horizons variés qu'on ne peut décemment accuser de foucaldolâtrie béate, et encore moins de gauchisme.
Foucault pose une épine dans le pied des clivages : des conservateurs à courte-vue qui ont repris à leur compte l'idéal disciplinaire des utopistes socialistes du début du XIXe siècle (en ayant oublié entre temps l'existence-même de ces derniers) ; des gauchistes qui vouent un culte à l'Etat posé a priori comme principe de bienfaisance pour le bien commun.