Tau Zero : un bien étrange nom pour un roman de science fiction méconnu dans nos contrées. Son auteur, Poul Anderson (décédé à 74 ans en 2001), a en effet été ignoré des maisons d’édition francophones pendant la majorité de sa carrière (essentiellement en raison de ses prises de position politiques), avant de revenir au devant de la scène ces dernières années. Le magazine Bifrost lui a par exemple consacré son 75ème numéro en juillet dernier, mais la majorité de sa bibliographie n’en reste pas moins introuvable en français. C’est simple : pourtant sorti en 1970 et réputé être un des fers de lance de la « hard science-fiction », Tau Zero n’a connu sa première traduction dans la langue de Jules Verne qu’en… 2012.
Bienvenue au XXIIIème siècle, alors que cinquante volontaires s’apprennent à prendre la route à destination de l’étoile Beta Virginis, à trente-deux années-lumière de la Terre. Le but du voyage : s’installer sur une planète potentiellement habitable et, si possible, y rester. Grâce aux moteurs « Bussard » du vaisseau Leonora Christina, le voyage aller ne doit durer que cinq ans. Mais attention, c’est là qu’intervient cette bonne vieille relativité. A de telles vitesses, proches de celles de la lumière, le temps s’écoule bizarrement et c’est carrément plus de trente ans qui auront passé sur Terre à leur arrivée. Le roman se construit principalement autour de cette idée de dilatation du temps : enfermés dans leur vaisseau, l’équipage file à une vitesse tellement extrême que le reste de l’univers vieillit plus vite qu’eux. En cas d’échec et de retour forcé, leur monde natal aura bien changé à leur retour. Mais si un pépin survenait en cours de trajet ?
Structuré autour de phénomènes physiques qui paraissent bien vertigineux pour des petits êtres rampants tels que nous, Tau Zero envoie certainement du lourd. Mais qu’en est-il des personnages ? Les cinquante membres de l’équipage représentent une microsociété confrontée à un défi rare : cohabiter au sein d’un gros vaisseau spatial avec, en ligne de mire, la probable colonisation d’une planète inconnue. Tout l’intérêt de l’histoire réside évidemment au croisement d’une situation exceptionnelle et d’une communauté hétéroclite d’hommes et de femmes triés sur le volet mais susceptibles de céder à leurs faiblesses bien humaines. Au milieu de tout ça, un personnage semble surnager : Charles Reymont, le gendarme du bord. Chargée de maintenir l’ordre, cette espèce de héros à l’ancienne représente la droiture incarnée, la clé de voûte nécessaire au bon fonctionnement d’un groupe qui en aura bien besoin.
En un peu plus de trois-cent pages, Poul Anderson nous emmène loin. Fabuleusement loin. La présente édition est en plus assortie d’une postface bien garnie de l’astrophysicien Roland Lehoucq, qui revient sur les nombreux éléments scientifiques du livre. Truffé d’allusions à la culture scandinave (Anderson est d’origine danoise), Tau Zero est une sorte d’anomalie : il devrait traîner depuis longtemps dans les rayons SF des bibliothèques, le papier jauni et couvert d’une fine pellicule de poussière, un peu comme un vieil Asimov. Didactique, il permet (comme d’autres romans tels que La guerre éternelle, écrit quelques années après) de saisir dans la mesure du possible cet étrange phénomène qu’est la relativité, tout en explorant la dimension humaine et sociale d’un tel périple. A certains égards, Tau Zero accuse son âge et n’est pas dénué de petits relents réac’, mais il n’en reste pas moins un roman de science-fiction très intéressant doté d’une réelle capacité à faire surchauffer l’imagination.