Emile Mossely, curieux détenteur du Prix Goncourt puisqu’il l’a reçu deux fois en 1907. Le premier titre primé fut Jean des brebis ou le livre de la misère. Mais, ce titre n’avait pas été en cette année. Le règlement du Goncourt étant strict et le jury ne voulant pas reprendre sa nomination, il fut décidé que le Goncourt général serait attribué, toujours à Mossely, mais pour son roman de l’année : « Terres Lorraines ». Cet épisode est à classer dans le chapeau des pirouettes des grands prix littéraires, modèles d’arrangement entre gens de bonne composition.
Cela étant dit, « Terres Lorraines est un roman comme on pouvait en écrire à l’époque. Un personnage central, Pierre, vivant chichement à une époque et dans une Lorraine pauvre et dure. Une promise, Marthe, qui ne voit l’avenir que par lui, sa force, sa capacité de faire vivre la famille et de rester au pays où ‘les vieux’ ont déjà tant peinés. Et, pour le Pierre, l’envie d’aventure, le rêve d’une vie moins ardue, d’un gain meilleur et, surtout, d’un ailleurs à vivre, un espace à ouvrir, de nouveaux goûts et parfums à découvrir.
Pierre partira pour une saison de pêche, gagner un peu d’argent avant la noce… Il ne reviendra pas. La Marthe en mourra.
On nage en plein drame. Les personnages, leurs envies, leurs rêves, leurs promesses et leurs trahisons pourraient faire partie d’un roman actuel, vif, prenant le lecteur au cœur, lui insufflant l’envie de tantôt casser la figure à l’un, tantôt celle de secouer l’autre… Mais dans le roman de Emile Mossely, on n’y croit pas. Pourquoi ? Probablement parce que l’auteur, une fois de plus, joue sur la corde du misérabilisme, du destin sombre et cruel des petites gens. Et il le fait en s’appesantissant sur la vie rude des Lorrains, le pénible travail de la terre et la difficulté de vivre de cette nature impitoyable qui semble vouloir offrir moins de ressources qu’elle n’exige d’efforts. C’est lourd, triste, sans espoir…
Il y a pourtant quelques très belles descriptions des métiers d’autrefois, des modes de pêche, des travaux à la ferme et des veillées où s’occupaient les mains tandis que les pipes fumaient et que les nouvelles changeaient de tête. Mais toute cette intelligence de survie, cette nécessité du lien social et la force d’une parole qui engage se noient sous la poussière du temps et ne résonnent plus à mes oreilles, mon cœur et mon esprit au point de me donner de vraies clefs de lecture pour le monde d’aujourd’hui. Content de l’avoir lu, content aussi de passer à autre chose.