L'expérience de pensée de Rawls (« le voile d'ignorance ») entend soustraire l'élaboration du « droit positif » à la sphère des intérêts. Elle fait comme si les individus étaient des tables rases dotées d'une volonté bonne et de rationalité pure. Or ceci ne pourrait être le cas qu'au terme d'un processus approfondi de remise en question individuelle et collective des couches culturelles et des intérêts personnels et sociaux qui affectent le jugement et la sensibilité. Une véritable révolution des subjectivités permettant de réunir la raison et la sensibilité dans leur réalité originelle. C'est ce processus émancipé de toute idéologie économique, juridique et politique qui permettrait de renouer avec le « droit naturel » comme émanation d'une sensibilité ajustée à la justice. Ce processus resterait ouvert et évolutif, de sorte que le « droit positif » qui en découlerait serait non pas un code autonome contraignant mais resterait lui-même ouvert et évolutif. Finalement, une société avec suffisamment d'individus rationnels sensiblement ajustés à l'effort de justice (essayer d'être juste est juste, prétendre l'être ne l'est pas) verrait se dissoudre le « droit positif » dans le même mouvement d'émancipation/réappropriation des décisions individuelles et collectives où se dissout l'Etat.