Noirs dessins
Thérèse Raquin est un roman glauque et d'une noirceur abyssale. Aucun des personnages ne suscite l'attachement ou la pitié, peut-être un peu Thérèse au début, mais l'on ne peut s'empêcher de penser...
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le 9 août 2013
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Émile Zola a 27 ans quand il publie Thérèse Raquin. C’est son troisième ouvrage et déjà, il veut écrire une œuvre littéraire qui se veut « scientifique » et qui donnera naissance au naturalisme.
Après la sortie du roman, le journaliste Louis Ulbach, dit Ferragus, publie le 23 janvier 1868, dans le Figaro, une critique virulente qu’il intitule : « la littérature putride »
« […] je dois avouer le motif spécial de ma colère. Ma curiosité a glissé ces jours-ci dans une flaque de boue et de sang qui s’appelle Thérèse Raquin [...]. Le sujet est simple, d’ailleurs, le remords physique de deux amants qui tuent le mari pour être plus libres de le tromper, mais qui, ce mari tué (il s’appelait Camille), n’osent plus s’étreindre, car voici, selon l’auteur, le supplice délicat qui les attend : « Ils poussèrent un cri et se pressèrent davantage afin de ne pas laisser entre leur chair de place pour le noyé. Et ils sentaient toujours des lambeaux de Camille qui s’écrasaient ignoblement entre eux, glaçant leur peau par endroits, tandis que le reste de leur corps brûlait. »
À la fin, ne parvenant pas à écraser suffisamment le noyé dans leurs baisers, ils se mordent, se font horreur, et se tuent ensemble de désespoir de ne pouvoir se tuer réciproquement. »
https://fr.m.wikisource.org/wiki/Lettre_de_Ferragus,_dans_Le_Figaro_,_23_janvier_1868,_La_litt%C3%A9rature_putride
Il est vrai que les mots qui reviennent souvent dans ce roman sont, pour n’en citer que quelques-uns : gras, suintant, lambeaux verdâtres, ignoble, pourri, pourriture, épais, brute, crasse etc. Tout cela donne tout au long du roman une impression de sale, de miséreux, de médiocrité, de petitesse, de lieux désagréables à la vue et d’êtres humains qui se dégradent et dont les actes ne sont le résultat que de leur condition physique. Un tableau pas très reluisant de cette humanité et à l’opposé du romantisme.
Émile Zola explique que : « Dans Thérèse Raquin, j'ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là est le livre entier. J'ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair. Thérèse et Laurent sont des brutes humaines, rien de plus. »
Les descriptions qu’il fait des emportements, des hallucinations, du schéma de pensée des deux meurtriers, utilisant un style des plus descriptifs, démontre bien sa volonté de prouver que les évènements passés assujettis au tempérament de chacun, déterminent leur comportement.
« Notre héros, écrit Zola, n'est plus le pur esprit, l'homme abstrait du XVIIIe siècle. Il est le sujet physiologique de notre science actuelle, un être qui est composé d'organes et qui trempe dans un milieu dont il est pénétré à chaque heure. »
Il paraît que Zola était un travailleur acharné, minutieux et méthodique, qui ne laissait rien au hasard. Il lui faut faire l’expérience du vécu de ses personnages (pas jusqu’au meurtre quand même) et pour chacun de ses romans il constituait un dossier d’études préparatoires.
Ainsi, dans Thérèse Raquin, le meurtrier se rend régulièrement à la morgue pour voir si le cadavre de Camille a été retrouvé (une des scènes les plus choquantes à mon avis). Pour l’écrire, Zola se rend aussi à la morgue pour étudier l’apparence des cadavres et lit des livres de biologie afin de décrire Camille (le noyé) avec une grande vraisemblance. Cela donne des passages tels que :
« Peu à peu il distinguait les corps. Alors il allait de l’un à l’autre. Les noyés seuls l’intéressaient ; quand il y avait plusieurs cadavres gonflés et bleuis par l’eau, il les regardait avidement, cherchant à reconnaître Camille. Souvent, les chairs de leur visage s’en allaient par lambeaux, les os avaient troué la peau amollie, la face était comme bouillie et désossée. Laurent hésitait ; il examinait les corps, il tâchait de retrouver les maigreurs de sa victime. Mais tous les noyés sont gras ; il voyait des ventres énormes, des cuisses bouffies, des bras ronds et forts. Il ne savait plus, il restait frissonnant en face de ces haillons verdâtres qui semblaient se moquer avec des grimaces horribles.
Un matin, il fut pris d’une véritable épouvante. Il regardait depuis quelques minutes un noyé, petit de taille, atrocement défiguré. Les chairs de ce noyé étaient tellement molles et dissoutes, que l’eau courante qui les lavait les emportait brin à brin. Le jet qui tombait sur la face, creusait un trou à gauche du nez. Et, brusquement, le nez s’aplatit, les lèvres se détachèrent, montrant des dents blanches. La tête du noyé éclata de rire. »
Excessif, traumatisant, à la limite grotesque, je garde pourtant de la lecture de ce livre l’envie de lire la suite de l’œuvre de Zola.
Créée
le 5 déc. 2022
Modifiée
le 5 déc. 2022
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