Il semblerait qu'une immense majorité des lecteurs de Tim Burton - Entretiens avec Mark Salisbury soit composée de fans absolus du cinéaste. Ce n'est pas mon cas, et je ne le considère d'ailleurs pas comme un très grand réalisateur : j'ai souvent été plus ou moins déçue par ses films. Pour autant, j'en adore un - un seul -, Sleepy hollow , et je suis sensible à son univers visuel et à l'ambiance qu'il instille immanquablement dans ses œuvres. J'ai vu l'exposition Tim Burton à la Cinémathèque française, j'ai lu « La triste fin du petit enfant huître », je possède des Tragic toys... J'avais donc envie d'en savoir un peu plus sur lui, sa carrière et son œuvre.
J'ai essentiellement rencontré trois problèmes lors de la lecture de ces entretiens. Le premier tient au fait que, si je m'intéresse assez peu aux ouvrages consacrés au cinéma, j'ai tout de même lu très jeune (enfin,j'avais pas cinq ans, non plus) ce qu'on pourrait qualifier de bible en la matière : les entretiens de François Truffaut avec Alfred Hitchcock. La barre est donc pour moi tout de suite très haute en ce qui concerne les autres livres de ce type. Le second problème tient au projet de Mark Salisbury. Déjà, aucune préface ou introduction qui explique en quoi celui-ci consiste, ce qui l'a motivé, comment il l'a développé. Si bien qu'on ne comprend pas du tout, en début de lecture, que les entretiens se sont déroulés, non pas les uns à la suite des autres, mais, en gros, après la sortie de chaque film (Combien de temps après au juste ? C'est un mystère) ; encore que ce ne soit pas toujours le cas... Tout ça est très brouillon. Du coup, le tout ne donne pas une vision globale du travail de Tim Burton, mais donne au contraire lieu à des répétitions: forcément, puisque Burton ne peut pas se souvenir à chaque entretien de ce qu'il a ou pas déjà dit sur tel ou tel sujet. Mais le pire est que Tim Burton, comme il le dit plusieurs fois lui-même, ressent le besoin d'un certain recul sur ses films, qui peut prendre des années, pour en parler et en aborder l'analyse... Cette période de recul n'étant pratiquement jamais respectée par Mark Salisbury, on n'a donc pas d'analyse sérieuse des films par Burton à part pour Ed Wood, mais je crois que c'est, en gros, le seul cas. D'ailleurs, autre curiosité, et non la moindre, les questions, les interventions de Mark Salisbury n'apparaissent pas dans le livre. A la place, des résumés du type « C'est en 1979 que Burton rejoint les studios Disney pour travailler comme animateur sur Rox et Rouky, suivis de soliloques de Tim Burton. Drôle de pratique ! Le titre original, « Burton on Burton » convient donc bien mieux que le titre français. Enfin, le dernier problème consiste, à mon sens, en banalités régulièrement assénées par Tim Burton lui-même, du type "Je m'efforce d'être fidèle à mes principes", "Mes films sont mes enfants" ou des déclarations très floues, par exemple sur le filtre abstrait des contes de fées (?). On n'est donc pas dans l'analyse de films, mais essentiellement sur une approche très concrète, et même matérielle de l’œuvre de Tim Burton, ce qui n'est franchement pas ce qui me passionne le plus. En gros, on parle surtout construction de décors et problèmes avec les studios.
Cela dit, c'est un ouvrage qui se lit facilement, où chaque chapitre correspond en gros à un film important de Burton. Il éclaire tout de même sur ce qui fait en partie l'essence des films de Tim Burton, à savoir son enfance et son adolescence dans la ville de Burbank - mais y revenir régulièrement devient lassant. Une des anecdotes les plus éclairantes concerne les appareils dentaires et intervient en fin de livre :
"J'ai moi-même porté tous les types d'appareils dentaires imaginables. Je garde le souvenir d'une expérience terriblement douloureuse et marginalisante. L'un d'eux, absolument gigantesque, faisait même le tour complet de ma tête ! Quand on me l'a installé, j'ai eu l'impression qu'on me le vissait dans le crâne. Et ça faisait atrocement mal, comme une migraine dans la bouche. Cet appareillage hideux sur ma tête était comme le symbole de mon sentiment d'exclusion. Je n'avais pas beaucoup d'amis, et je ne pouvais pas vraiment communiquer. Cet appareil dentaire matérialisait mon incapacité à établir le contact avec les autres, voire avec mon propre lit."
Mais pour l'essentiel, j'ai appris pas mal de choses sur la façon de monter et de produire des films, même si ça n'était pas ce que je recherchais. J'ai aussi trouvé Tim Burton plutôt lucide sur les défauts qui lui sont propres : il parle notamment plusieurs fois de sa difficulté à réaliser des films avec une narration bien lisible. Enfin, j'ai été surprise devant les réticences et critiques dont ont régulièrement pâti ses films. On lui a beaucoup reproché une ambiance trop sombre, trop bizarre : mais c'est tout de même ce qui fait le propre de ses œuvres ! J'ai d'ailleurs découvert, avec beaucoup d'étonnement, que la plupart des films de Tim Burton ne provenaient pas de projets personnels mais extérieurs qu'on lui a soumis. Ce qui me fait dire qu'il n'est peut-être pas aussi inventif qu'on a tendance à le dire, mais qu'il l'est suffisamment pour habiter des projets qui ne sont pas les siens et leur insuffler sa personnalité - ce qui n'est pas le cas de tout le monde.