Un Zen pas Zen

Ce Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes est une autobiographie, Pirsig raconte une partie de sa vie et déroule avant tout le cheminement de sa pensée. C'est l'histoire d'une obsession, a priori une étrange obsession, il fut obsédé par la Qualité, ou plutôt par le concept de qualité.

Avant de reprendre ses études et de choisir la philosophie Robert Pirsig fut soldat en Corée, il y rencontra le bouddhisme Zen qui lui permit de faire l'expérience de la sérénité.

De retour aux États-Unis, durablement changé par sa rencontre avec le Zen il va essayer à travers ses études de philosophie de définir à l'usage des occidentaux "l'esprit Zen".
Il conclura que le mot qui traduit le mieux cet "esprit Zen" est le mot "Qualité".
A la mesure de l'importance de sa rencontre avec cet art de vie oriental sera sa déception de constater la difficulté de partager sa conception avec ses contemporains, d'abords avec ses professeurs de philosophie, puis ses élèves quand il deviendra lui même professeur et enfin ses pairs.
Son trouble ira bien au-delà de la déception puisque ravagé par l'incompréhension il s'enfermera de plus en plus en lui même jusqu'à ce qu'on l'interne en hôpital psychiatrique.

Guérit, il ne retournera pas au professorat mais exercera dans un tout autre domaine, il rédigera des modes d'emploi technologiques. C'est depuis cette nouvelle vie qu'il rédige son autobiographie, il décrit l'homme en proie à la folie qu'il fût en le nommant Phèdre; il raconte un voyage en motocyclette qu'il va faire avec son jeune fils et un couple d'amis ; son voyage l'amène jusqu'à la ville où il fut professeur de philosophie, il y retrouve des anciens amis universitaires qui connurent Phèdre.

Au cours de ce voyage il se souvient de sa vie passée, il décrit le cheminement de sa pensée, celle de Phèdre, cet autre voyage qui l'aura presque détruit. Aux passages qui expliquent ce passé tortueux, cette descente aux enfers de la pensée, succède la description toute naturaliste de son road trip à travers les grands espaces étasuniens. Petit à petit on comprend que son amour pour la mécanique de précision, pour l'entretien des motocyclettes est une pratique, la pratique Zen, la pratique de la Qualité qu'il étend aux autres domaines de son existence.
Cette même Qualité dont la tentative de définition, la tentative d'explication l'avait plongé loin si loin d'une vie de qualité. Il a finalement découvert qu'un intellectualisme outrancier ne pouvait que l'éloigner de la réalité de cette Qualité. Mais cet excès de souffrance, de déséquilibre n'est-il pas celui qui a imposé la nécessité de réaliser par ses actes ce que sa pensée essayait de définir ? Cette réalisation ne réhabilite-t-elle pas Phèdre Finalement, ne justifie-t-elle pas son parcours ?

Au cours du voyage il exprime ses craintes au sujet de son fils qui, comme lui quand il était Phèdre, se renferme facilement sur lui même et peut avoir des humeurs qui font craindre à ses parents une sorte d'hérédité malsaine. Il consacre une partie de son temps à essayer de renouer une relation avec son fils. On comprendra au fil du récit que le désarroi du fils est lié aux souvenirs qu'il a de son père malade.

Ce livre est exigent, il fait appel à notre intelligence, plus qu'aucun autre il pénètre l'intimité d'une pensée, par ce fait il est remarquable. Pirsig atteint-il le but qu'un jour il s'était fixé ? Permettre aux occidentaux d'appréhender l'esprit Zen, peut-être, dans la mesure ou cela est possible par l'intermédiaire des mots. Nous invite-t-il à changer notre point de vue sur le réel ? C'est certain, il nous invite avant tout à changer, changer nos points de vue, changer nos actes, vivre différemment, vivre en philosophes.

Il affinera sa définition de la Qualité une quinzaine d'années après la parution du Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes, dans un autre essai intitulé Lila. Enquête sur la morale, ce dernier complète admirablement ce premier chef d’œuvre.