Voilà un moment que je n'avais pas lu un roman de Bernard Werber. Après une série de déceptions, j'avais en effet décidé d'arrêter les frais : Werber ne m'intéressait plus. Mais le hasard a mis entre mes mains cette Troisième Humanité, et j'en ai profité pour faire le point sur ce qui me dérange chez cet auteur.

L'archétype du roman werberien s'inspire du conte philosophique, avec un style simple où le narrateur omniscient se contente de décrire l'action sans porter de jugement sur la situation où les personnages. Le but avoué est de faire tirer des leçons au lecteur de ce qui arrive aux protagonistes en fonction de leurs actes, le tout avec un certain humour puisque la narration peut décrire avec la même absence d'affect aussi bien un petit déjeuner sur une terrasse que l'extinction de la race humaine. Ce dernier exemple n'est pas pris au hasard, car Werber a le sens de la démesure et n'hésite pas à mettre en scène l'humanité entière, généralement une masse abrutie sur laquelle surnagent quelques personnages principaux.

Le problème de Werber, c'est qu'il ne s'encombre pas de la crédibilité de son histoire et que le conte philosophique se change bien souvent en conte à dormir debout. Si les mouvements de foule qui ne manquent pas d'arriver sont somme toute plausibles, les personnages individuels sont en revanche particulièrement peu humains. C'est une chose d'éviter les héros insipides et autres archétypes qui ressemblent à n'importe qui, c'en est une autre de créer des personnages à l'excentricité telle qu'on ne peut pas s'y identifier davantage. C'est simple, dans un roman de Werber, la plupart des protagonistes semblent frappés d'une forme particulière du syndrome d'Asperger, monstres calculateurs qui passent leur temps à évaluer leurs propres actions et tempérament. Ce sont des scientifiques (pas forcément de métier même si c'est souvent le cas) tellement scientifiques qu'ils ne fonctionnent que sur le mode de l'analyse et de la rationalité. Ce qui ne les empêche pas de faire des erreurs d'analyse et de rationalité, et ainsi d'avoir régulièrement un comportement incohérent. La palme dans cet épisode revient à ce dialogue que je résume ici :
"Non, je refuse de participer à votre programme militaire. Je suis gauchiste et anti-militariste.
- Mais c'est pour sauver l'humanité.
- Et alors? L'humanité peut bien crever, je m'en fous."

Cela nous amène à un point central dans le style de Werber : "l'originalité", avec des guillemets. En effet, tout dans le style de l'auteur semble nous dire "Regardez comme mon histoire et mes personnages sont peu conventionnels". Et c'est le cas, c'est d'ailleurs ce qui plaisait dans Les fourmis ou Les thanatonautes : c'était rempli d'idées, de suspens et d'humour. Sauf qu'à force d'employer EXACTEMENT la même recette de romans en romans, l'originalité commence sérieusement à en pâtir, d'autant que l'on devient de plus en plus sensible aux tics de l'auteur, aussi bien dans le style global que dans les détails (cf. ces points de suspension à outrance, qu'on retrouve dans la moitié des dialogues, comme si tous les personnages affectaient de ménager leur suspens ou de souligner l'originalité de leur propos). Fichtre, Bernard, l'originalité commence à devenir franchement banal chez toi. Ajoutez à cela cette manie de l'auto-référence à ses précédents ouvrages et du recyclage des idées et vous comprendrez qu'il y a de quoi être agacé et lassé.

Comme si ce n'était pas suffisant, cette quête acharnée de "l'originalité" finit par se traduire en incohérences et en concepts potentiellement accrocheurs mais sans rien derrière. Ainsi l'avertissement qui débute ce Troisième Humanité : "Cette histoire se déroule dans un temps relatif, et non un temps absolu. Elle se passe précisément 10 ans, jour pour jour, après l'instant où vous ouvrirez ce roman et commencerez à le lire". Alors que finalement, la situation géopolitique et la technologie présentée montrent bien que l'histoire se déroule à une époque fixe assez proche de la nôtre.

Mais puisque Bernard Werber aime ce petit jeu, je vais conclure sur le même modèle : "Le meilleur roman de Werber est relatif, et non absolu. Il s'agit du premier d'entre eux que vous ouvrirez et que vous lirez". Quoique. Il me semble qu'il avait plus de charme lorsqu'il n'avait pas encore de romans dont il pouvait recycler les idées et auxquels il pouvait faire toutes ces références appuyées, ce qui nous renvoie aux Fourmis et aux Thanatonautes. Mais c'est peut-être un effet de nostalgie de ma part.
RaoulDeCambrai
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le 17 juil. 2014

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