Ubik est a priori un Macguffin littéraire, la source et l'objectif de toutes les trajectoires, le remède à tous les problèmes, toutes les envies. Ubik c'est surtout une oeuvre primordiale de la SF littéraire, désigné par certains lecteurs assidus du genre comme un roman fondamental, voire le plus important en la matière et qui servit d'influence à bon nombre d'autres oeuvres tant littéraires que cinématographiques et vidéoludiques. Ubik c'est aussi le roman majeur de son auteur lequel injecte ici toutes les obsessions récurrentes de son oeuvre, initiant son intrigue par la description d'un futur kafkaïen où tout se paie jusqu'à l'absurde avant de propulser ses protagonistes tantôt en avant tantôt à rebours dans une succession de strates temporelles soumises à l'entropie qui les condamne tous à une finitude toute aussi glaciale que terrifiante. Une seule phrase sibylline et révélatrice, inscrite sur le mur des toilettes, agira comme le catalyseur de tous les doutes, toutes les peurs quant au leurre des apparences. Dès lors, les trajectoires de Joe Chip et de ses compagnons subiront les effets d'une distorsion spatio-temporelle mettant en cause (plus encore que leur perception de la réalité) ni plus ni moins que leur statut d'êtres vivants.
Une phrase "Je suis vivant et vous êtes morts" à valeur péremptoire et tout se détraque, tout change, tout revient au passé. Et les prétendus survivants d'une première partie littéralement classique de l'intrigue se mettent alors à se débattre dans une situation qui leur échappe et les condamne à se figer à l'état pathétique de larve indescriptible. Quel est donc le dieu cruel qui soumet ainsi ces rêveurs plongés à leur insu en semi-vie à cette déchéance s'acheminant vers l'abandon et le néant de la mort ? Un défunt "endormi", rendu tout puissant par sa capacité d'agir sur la conscience de ses compagnons d'hibernation ? Un monstre de cruauté, enfant des rêves d'une vie qui lui fut trop tôt privée et qui se plait à régir les réalités subjectives jusqu'à les confondre en un seul et même cauchemar ? Et qu'est-ce donc que Ubik si ce n'est la potion miraculeuse et l'indice universel que la conscience prime sur le corps et la matière.
"Je suis vivant et vous êtes morts" clame l'unique rescapé du carnage lunaire, qui se croyant sain et sauf, tente malgré les agissements du dieu infantile et cruel de guider ses compagnons dans les limbes de la semi-conscience. Jusqu'à ce qu'il se confronte à son tour à la même inscription révélatrice dont il se croyait pourtant l'auteur et en vient alors lui aussi à douter des fondements de sa propre réalité.
Ubik est plus qu'un roman de SF, c'est une expérience littéraire. Un chef d'oeuvre absolu dont la rémanence hante longtemps le lecteur une fois le livre refermé.