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Le texte :
Voilà un livre et surtout un auteur qui n’oublient ni d’allier forme et fond ni de penser autant à ses personnages qu’à son histoire… rendant les choses toujours plus touffues et étoffées qu’il n’y paraît.
Grégoire Lang, après un obscur passé de photo-reporter de guerre ayant essentiellement bourlingué en Afrique, se consacre maintenant à une sorte de fightclub socio-artistique dont la forme reste la bagarre mais dont le fond dépasse largement le simple défoulement et vire à la critique politico-sociale. Il s’est plus ou moins lié d’amitié avec Paolo qui organise ces « fightmobs » et partage avec lui une relation sentimentale avec Olivia, la fille d’Old Maurice, tuée dans un attentant sur une plage de Tunisie.
Lang est contacté par Awa, une black qui déboule dans sa vie en faisant valoir une dette qu’aurait Lang envers elle pour ne pas l’avoir sauvée d’un viol en Afrique. Sans avoir besoin de pousser très loin les négociations, Awa obtient de Lang qu’il aille récupérer son fils dont la garde lui a été retirée il y a quelques mois.
Ce livre est d’abord un livre hautement politique. Marseille et sa faune ne sont qu’un décor familier à Cédric Fabre mais n’importe quel autre contexte (plus ou moins urbain tout de même) pourrait accueillir son récit : la déshumanisation de la vie sociale est partout.
Au-delà de cette chronique de la décrépitude du lien social, « un bref moment d’héroïsme » est donc un livre hautement humain, à travers la galerie de personnages dépeints par Cédric Fabre, au premier rang desquels Lang, Old Maurice, Awa, son fils Arsène. Humain, ce livre l’est assurément à la fois dans les passions qui tissent les relations entre les personnages mais aussi dans les manipulations, les mensonges et les ultimes vérités que les protagonistes se jettent au visage pour mieux découvrir leurs propres vérités. C’est un livre sur l’apprentissage du deuil des autres et de soi, en tout cas du soi qu’on expose aux autres pour se protéger quitte à se perdre soi-même.
Dans ce récit, il y a toujours une personne qui en utilise une autre : Awa utilise Lang pour récupérer Arsène, Lang utilise Paolo pour se donner un but, Lang utilise Arsène pour essayer de contrecarrer les envies de suicide de son ami et accessoirement père de son ex-petite amie, etc… On se met alors à chercher le point commun entre tous les fils de cette histoire jusqu’à saisir tout le génie de Cédric Fabre qui fait d’Olivia, une morte, la pierre angulaire de son récit, sans en avoir l’air.
Il y a des livres, sans que tu saches vraiment comment (et puis parfois, il ne faut pas chercher à comprendre, ne pas trop vouloir décortiquer au risque de perdre une certaine spontanéité), qui te prennent et ne te lâchent plus : ils t’emmènent dans leur bulle et tu te laisses porter et par l’histoire et par les personnages et par toutes ces petites choses, ces petits moments d’existence, ces petites réflexions sur l’existence qui parsèment le récit et que l’auteur t’offrent , parce que ce livre est une offrande. Après, toi lecteur, tu en fais ce que tu veux mais il y a plein de petites pépites et richesses, de petites leçons, de petits fragments qui te restent à jamais.
Alors certes, l’auteur t’emmène dans sa bulle narrative et tu t’y sens bien. Mais il ne te propose pas pour autant un long fleuve tranquille. Tu es balancé à droite, à gauche, dans cette bulle, tu te cognes aux parois comme les personnages se cognent à la vie que leur réserve Cédric Fabre, tu t’égratignes sur les aspérités de la bulle, sur ses défauts comme les personnages sur les aléas de leurs existences, sur les embûches de leurs parcours.
Cédric Fabre fait preuve d’une générosité sans faille et d’un véritable amour pour ses personnages en leur offrant à chacun un destin digne de leur statut d’héros. Tragique pour certains, magnifique pour d’autres, ces destins ne sont surtout pas des fatalités, en tout cas je ne crois pas. C’est une des forces de ce roman noir, de ne pas croire à la fatalité mais en la réalisation par chacun du pouvoir qu’il détient en lui-même sur lui, sur les autres et sur le monde qui l’entoure.
Si le récit de Cédric Fabre n’invite pas forcément à l’optimisme, son regard sur la société étant ce qu’il est, il invite en tout cas à l’humain, à la vie qui par définition contient déjà en elle la notion de mort.
Bref, vous l’aurez compris, ce livre, je lui ai kiffé sa race, je vous souhaite la même. Ce livre est aussi ma première lecture de la nouvelle collection noire de chez Plon, Sang neuf, et si bon Sang Neuf ne saurait mentir… vivement la suite des parutions !