Un homme inutile (Lüzumsuz Adam) est un recueil de 14 nouvelles, plutôt courtes puisque l'ouvrage ne fait que 150 pages, de l'écrivain turc Sait Faik Abasıyanık (1906-1954). L'ouvrage tire son nom de la première nouvelle. Lüzumsuz Adam aurait pu être traduit par "Un homme superflu". Le titre fait penser immédiatement pour le turcophile à une autre œuvre littéraire majeure de la littérature turque, Aylak Adam, L'homme désœuvré de Yusuf Atılgan publiée en 1959 qui lui succède puisque l'œuvre dont il est question ici a été publiée en 1948. Il s'agit ici du quatrième ouvrage publié par l'auteur. L'éditeur français Bleu autour a respecté l'ouvrage original puisqu'il conserve ses 14 nouvelles dans cette traduction de Alain Mascarou.

Dans ces nouvelles, Abasıyanık nous décrit tel un journaliste ce qui se passe dans les rues d'Istanbul, mais pas seulement comme un journaliste, comme un journaliste poète, car si l'on est souvent dans le registre du fait divers, tout cela est décrit d'une manière très poétique. On est assez loin d'un Orhan Pamuk ici, car Abasıyanık nous décrit les gens ordinaires, mais le plus souvent des bas-fonds d'Istanbul, les marginaux, si vous voulez, les laissés pour compte, et en cela il est plus proche d'un Bukowksi. Car si le personnage de la première nouvelle, cet "homme inutile" semble être l'auteur lui-même, il porte la focale dans les autres nouvelles sur d'autres personnages, tel que L'homme de la brasserie qu'il observe jusqu'à imaginer son histoire, il décrira aussi un pêcheur, une histoire de crime passionnel, le rapport à la terre d'un Pope très particulier dans Le Pope Aleksandros, des histoires de prostitution dans Une histoire de voyou, ou encore un voyeur dans L'homme au sourire bestial. Mais ma nouvelle préférée est l'avant dernière, Le pavillon dans le cimetière où l'auteur imagine la vie de certains morts.

Abasıyanık est d'une certaine manière l'opposé de Pamuk. En effet, quand ce dernier a tendance à être trop souvent dans le général et les listes, à survoler les choses, ce que fait Abasıyanık, c'est plutôt de s'attacher à des petits détails qu'il observe et construire à partir de ces détails, comme la prothèse de l'homme observé dans S'il avait eu des jambes, ou la corde que se disputent deux personnes dans la rue dans Une histoire de corde. Car ce qui compte chez Abasıyanık n'est pas la réalité, mais l'imagination, ce que cette réalité inspire au poète. Une première rencontre pour moi avec cet auteur dont j'aimerai en découvrir davantage.

Hunkarbegendi
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le 10 févr. 2024

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