Il est toujours difficile de se prêter à l'exercice critique quand celui-ci concerne une autobiographie. Comment juger l'oeuvre, en sachant qu'elle se pose comme la vérité émanant de la pensée d'un seul homme ?
On peut toujours juger la qualité de l'écriture, bien sûr. Dans le cas présent, le récit de Nelson Mandela, qui commence par son enfance au Transkei et se termine au moment de son élection en 1994, est concis est redoutablement efficace. Les chapitres sont courts et l'on a l'impression d'avancer assez rapidement dans sa vie. Mandela utilise un style direct avec un vocabulaire simple. On pourrait seulement lui reprocher de se perdre dans des détails politiques parfois compliqués, surtout à la fin.
Sur le fond, on ne peut évidemment qu'admirer l'engagement politique de l'homme. Parti de son modeste village, Mandela a su évoluer, se remettre perpétuellement en question pour atteindre le but qu'il s'était fixé : une Afrique du Sud ouverte à tous, où tous peuvent vivre égaux. Il raconte ses hésitations, reconnaît ses erreurs de jugements parfois (concernant les communistes notamment). Ce qui frappe à la lecture de ses lignes, c'est sa capacité à rester modéré, à résister à la tentation de haïr ceux qui le font souffrir. Malgré ses 27 années d'emprisonnement, les traitements abominables qu'il a pu subir, il n'a jamais dévié de sa ligne de conduite et toujours souhaité que Noirs et Blancs puissent vivre en harmonie dans le pays qu'il aimait tant.
Il a toujours voulu repousser le plus possible la lutte armée. Il a toujours estimé que seules les négociations avec le parti national, qui a mis en place l'Apartheid, pourraient sortir le pays de la crise. Une belle leçon, à mon sens, pour nos démocraties parfois en perte de vitesse : le dialogue est l'arme la plus efficace pour faire avancer les choses.
Il y a quelques jours, les propos de l'ancien président de l'Afrique du Sud, Frederik de Klerk, principal négociateur avec Mandela, qui a refusé de qualifier l'Apartheid de crime contre l'humanité, ont fait polémique, au point qu'une pétition a été lancée pour lui retirer le prix Nobel de la paix, qui lui a été attribué en 1993, conjointement avec Nelson Mandela. Sans remettre en question la gravité de tels propos - il s'est excusé ensuite - il me semble que ce serait faire injure à Mandela d'en arriver à cette extrémité. Le premier président noir de l'Afrique du Sud estime dans son autobiographie que, même si certains discours de de Klerk ont pu l'ulcérer, son prédécesseur méritait de partager ce prix avec lui. Pour Mandela, jamais auparavant un dirigeant blanc n'avait fait autant d'effort pour mettre à bas l'Apartheid. Il était conscient de l'effort qu'impliquait un tel changement pour une grande partie de la population blanche sud-africaine, aussi injuste que fût sa position.
Pour terminer, je ne résiste pas à la tentation de distiller ici quelques citations de Mandela. Des traits d'esprit admirables qui me semblent toujours d'actualité :
" Une minorité, même bruyante, ne devrait pas pouvoir aller contre la volonté de la majorité."
" Je suis fondamentalement optimiste (...). Être optimiste c'est en partie avoir la tête dirigée vers le soleil et les pieds qui continuent à avancer. Il y eut beaucoup de moments sombres quand ma foi dans l'humanité était mise à rude épreuve, mais je ne voulais ni ne pouvais me laisser aller au désespoir. Cette voie mène à la défaite et à la mort."
" J'ai appris que le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre."
" Personne ne naît en haïssant une autre personne à cause de la couleur de sa peau, ou de son passé, ou de sa religion. Les gens doivent apprendre à haïr, et s'ils peuvent apprendre à haïr, on peut leur enseigner aussi à aimer, car l'amour naît plus naturellement dans le coeur de l'homme que son contraire."