Lutter !
Ce sont des mots nouveaux qu’il faut apprendre, tout un lexique auquel il faut s’habituer comme quand on arrive dans un pays étranger : pleurésie, bacille, tuberculose, isoniazide, INH, Rimifon, PAS,...
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le 4 oct. 2016
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Ce sont des mots nouveaux qu’il faut apprendre, tout un lexique auquel il faut s’habituer comme quand on arrive dans un pays étranger : pleurésie, bacille, tuberculose, isoniazide, INH, Rimifon, PAS, streptomycine… la liste est longue. Le pays des mots nouveaux que Mathilde tente de comprendre est celui de la maladie de son père, Paul Blanc dit Paulot. Paulot, le tubard. C’est comme cela qu’il est appelé dans le pays maintenant qu’il est malade.
Pourtant, le Paulot, lorsqu’il tenait le café Le Balto, à La Roche-Guyon, c’est bien lui qui mettait l’ambiance au village avec son harmonica Hohner : bals à gogo, apéros, repas gratuits pour les affamés, lits pour les « sans piaule », parties de belote et de billard tard dans la nuit. Un gars généreux, à la tête de tous les clubs, prêt à animer toutes les fêtes et qui aurait donné sa chemise pour les autres.
Mais maintenant, les autres, les anciens amis, aiment mieux le voir de loin : c’est contagieux un tubard, « c’est la mort qui rôde. Un mort-vivant. Un assassin. »
On est en 1952 et Paulot va devoir entrer au sanatorium d’Aincourt dans le Val d’Oise avec sa femme Odile, contaminée, elle aussi. Pas le choix. Ce sana à l’architecture fonctionnaliste dite « paquebot » est construit à l’écart du monde. Il faut tenir éloignés les nouveaux lépreux. Au cœur d’une véritable forêt de pins des Vosges, s’élèvent « trois paquebots de béton couleur neige, jaillis d’un océan de verdure de soixante-treize hectares » : les malades doivent réapprendre à respirer. C’est un lieu hors du monde construit entre 1931 et 1933 à cause d’une très nette recrudescence de cas de tuberculose et devenu sous Vichy un camp d’internement administratif avant de rouvrir ses portes en 1946 pour accueillir les derniers malades.
Mathilde et son frère seront placés, la famille éclatée, éparpillée, comme mise en miettes. Maintenant, la jeune fille doit tout faire pour s’occuper de ses parents et de son frère, oui, tout faire. Se donner, s’oublier pour eux, eux qui vivent ces Trente Glorieuses comme s’ils n’en faisaient pas vraiment partie : ils n’ont pas la sécurité sociale, encore réservée aux salariés, ils n’ont pas profité du vaccin qui existe depuis 1921 et à peine des antibiotiques qui coûtent cher. A La Roche en 1952, « il n’y a rien d’autre à voir… que du malheur et des cadavres. » Cigales, ils ont beaucoup donné aux gens du village, partagé, profité, sans penser que le malheur pouvait s’abattre sur leur tête.
Ainsi Mathilde qui voue depuis toujours une admiration sans limites à son père, elle qui petite, plongeait dans l’eau glacée, marchait sur le toit du château ou sur le mur écroulé du donjon tandis que son père dansait avec la sœur aînée, Mathilde prête à tout pour se faire remarquer et exister à ses yeux devra se sacrifier par amour, préserver coûte que coûte les liens, annuler les distances, « maintenir une géographie », en écrivant à chacun des membres de cette famille désormais morcelée et en se déplaçant à pied pour aller les voir, jusqu’à épuisement.
J’ai attendu avant d’acheter mon Valentine Goby, je l’ai retourné dans tous les sens lorsqu’il me faisait de l’œil chez les libraires… Si quelqu’un m’avait dit : « Tiens, j’ai acheté le dernier Goby », j’aurais été verte de jalousie. Je me suis retenue, un bon mois, et puis, mercredi dernier, je suis allée le chercher… Encore quelques jours à retarder le moment fatidique et je l’ai ouvert. Dès la première phrase, j’ai su que j’y étais, que je n’allais pas être déçue et enfin, je me suis laissée aller à ce plaisir tant retardé… « Mathilde Blanc traverse le cadre des fenêtres. »
Et quel plaisir…enfin… Un magnifique portrait de femme, Mathilde, celle qui « sourit toujours, par-dessus l’apocalypse », un être d’une force et d’une volonté prodigieuse, se donnant sans compter, par amour, prête à entraîner toute sa famille dans son élan vital, dans ce saut pour s’en sortir… C’est aussi la peinture d’une famille qui n’a pas profité des progrès de sa génération, des espèces de laissés-pour-compte, des êtres en marge de leur époque comme beaucoup d’autres qui n’avaient pas prévu ou qui n’avaient pas les moyens de le faire, des espèces « d’anachroniques », acteurs d’une tragédie qu’on pensait achevée.
Et puis, il y a cette écriture, ce rythme, cette sensualité dans l’évocation des gens, des lieux, des choses. On a comme l’impression de les toucher, de les voir, de les sentir, d’y être… Les folles soirées au Balto, les danses endiablées, les promenades de Mathilde en forêt avec Paulot, ses courses folles dans la nature…
J’ai déjà envie de m’y replonger et d’y regoûter… Immense coup de cœur de la rentrée…
Retrouvez Marie-Laure sur son blog: http://lireaulit.blogspot.fr/
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le 4 oct. 2016
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