Tout d'abord, je tiens à dire que, ayant tenu le coup jusqu'à la page 510 (/856), je m'estime tout à fait légitime à écrire une critique de ce livre. De plus, même ceux qui l'ont terminé et apprécié disent que la fin est ratée, alors voilà, vous m'excuserez de ne pas avoir eu la patience d'aller au bout.
Ok, le gars a développé un style qui fait que les pages se tournent relativement bien. J'ai trouvé le thème des relations raciales plutôt bien traité. Cela suffit-il à faire un bon livre ? La réponse est non.
Au niveau du scénario, l'histoire aurait beaucoup gagné à être très resserrée. Le livre est beaucoup trop long. Je pense qu'on pourrait supprimer plus de la moitié du bouquin sans rien toucher à la trame principale. Combien de pages inutiles sur les déboires sentimentaux de Luther et surtout de Danny ? Ces pages n'apportent rien à la profondeur des personnages, qui pour moi sont toujours aussi creux et caricaturaux après 510 pages.
Contrairement à beaucoup de gens qui ont aimé le livre, et n'ayant moi-même aucune affinité avec ce sport, j'ai bien apprécié le chapitre d'ouverture sur le match de base-ball. Pourquoi ? Parce qu'on sentait un écrivain qui avait pris la peine de bien se documenter, un soucis de ne pas raconter n'importe quoi. Mais alors, Dennis, pourquoi n'a-tu pas su maintenir cette rigueur passé le chapitre d'introduction ?
En effet, et c'est là pour moi l'élément totalement rédhibitoire, le livre est truffé de scènes totalement invraisemblables. Pour un livre qui revendique clairement son côté "historique", cela pose un problème majeur. Je veux dire, le gars aurait sorti une nouvelle passée inaperçue, j'aurais pas pris le temps d'écrire une critique, mais pour un écrivain célèbre comme Dennis Lehane ?
Top 3 d'exemples de scènes ou de propos que j'ai trouvé littéralement insupportables :
- réunion/meeting du syndicat en formation des flics de Boston. L'orateur annonce une mauvaise nouvelle, un flic balance sa chaise contre un mur, et en 10 secondes t'as une bagarre générale de centaines de flics qui se cognent dessus à qui mieux mieux, se fracturant mutuellement le pif sans aucune raison. Ils arrêtent comme par magie de se battre lorsque "l'homme providentiel" aka Danny le héros du roman prend la parole. Du grand n'importe quoi.
- bien pire : l'anarchiste italien qui a pour projet de dynamiter des gens qui ont commis l'erreur fatale d'assister à une messe. On connaissait les anarchistes qui commettaient des attentats sur des chefs d’État, mais là on est sur de l'inédit niveau anarchiste totalement dinguo. Heureusement, le super-cop Danny arrive pile à temps pour neutraliser la menace...
- le détail qui m'a fait définitivement fermé le livre : une manifestation de féministes qui brûlent tous leurs sous-vêtements, parce que, vous comprenez bien, ce sont des féministes, donc forcément des frappadingues et autres allumées du bulbz'. Dennis Lehane commet ici la double erreur monumentale de reprendre sans aucune gêne le mythe des "brûleuses de soutien-gorge" de 1968 et de plaquer ce mythe sur le contexte social de 1919. Rien à voir, Dennis. Et pour le coup, t'aurais pu faire une petite recherche Google pour fact-check cette histoire de soutiens-gorge, quand même.
Bref, tout n'est pas à jeter mais lorsqu'on a acquis la notoriété du boug', je trouve ça sidérant de pouvoir écrire et surtout publier de genre de choses sans se retourner dans son lit le soir en se disant "hum, mais des êtres humains dans la vraie vie, en 1919, ils auraient fait ça ou pas ?"
Pas sérieux, Dennis. Pas sérieux du tout.