Cherchez la Femme
Quelques 900 pages après l’attaque de fourgon blindé la mieux écrite de l’histoire, je referme le dernier volet de trilogie sur les 60’s de James Ellroy, le souffle court, des images plein la tête et...
Par
le 6 août 2015
6 j'aime
Underworld USA est la pierre angulaire de la trilogie du même nom et est même peut-être son chef-d'oeuvre le plus abouti : le roman réussit à éclairer d'une lumière nouvelle, mais pourtant traditionnelle des obsessions de son auteur, un projet d'une ambition à la fois très perverse et en même temps qui dévoile ses nuances, ses fragilités et ses langueurs derrière l'apparente transgression d'American Tabloïd ou d'American Death Trip. Les interrogations intervenues dès la lecture du premier tome de la trilogie semblent trouver leurs réponses dans un roman qui prend peu à peu les traits d'une émeraude, prisme lumineux à travers lequel tout paraît prendre un sens nouveau. Toutes les éparses lignes narratrices se dénouent dans un livre explosif, violent et cru qui gît sous les auspices d'une figure féminine à la fois maternelle, divine et puissante, sexuellement comme politiquement. C'est ni plus ni moins que la femme, voire l'Idée de la femme qui est au centre de l'oeuvre et notamment à travers la figure de Joan Rosen Klein. Si l'intrigue reprend là où le deuxième roman l'avait laissé, et que des personnages anciens reprennent leurs places dans la narration comme Wayne Tedrow Junior ou Dwight Holly, de nombreux personnages aux motivations à la fois plus nobles et plus ambiguës, parfois touchantes, se joignent à eux et forment une constellation de personnages satellites gravitant autour du personnage central de Joan, chacun pour des raisons bien différentes les uns et des autres, voire pour des obsessions malsaines. James Ellroy signe ici un épilogue magistrale à ce qui restera l'un de ses projets les plus grandiloquents et les plus sombres.
Les deux premiers tomes de la trilogie restaient relativement éloignés des thèmes classiques de James Ellroy que sont l'idée de la femme disparue et désespérément recherchée ainsi que celui de la prédestination. Dans Underworld USA, l'écrivain se rapproche ostensiblement de ses marottes tout en gardant une distance religieuse, quasiment mystique, avec le protestantisme pour se plonger dans un univers vaudou et animiste. Les nombreuses références aux coutumes haïtiennes et dominicaines, ainsi qu'à leurs herbes et à leurs cultures, ont remplacé peu à peu celles en rapport avec Cuba. De la même façon, James Ellroy est passé de la focalisation radicale sur les milieux d'extrême droite pour flirter avec l'extrême gauche. Après les avoir âprement opposés, James Ellroy les réunit dans une congruence inattendue, quasiment irrationnelle, comme si ces deux milieux avaient vocation à se mêler, et que l'avenir des Etats-Unis était déjà marquée par le sceau de cette alliance impromptue. En effet, tout dans ce roman est histoire de syncrétisme, d'unification et de fonte dans un Tout plus grand : le néo-platonicisme est mis largement à l'honneur, les personnages et leurs objectifs commencent à se mêler, à devenir indissociables et chaque personnage devient l'avatar méta-littéraire d'Ellroy. Parfois, le vertige prend le lecteur à la lecture de ce roman qui déroule, inflexible et irrémédiable, son lourd projet, sa terrible destinée et son objectif dont il est facile de percevoir qu'il était prévu dès sa genèse. Point notable : Ellroy se détache de l'Histoire avec un grand H pour nous conter une histoire fictive, où il excelle particulièrement davantage qu'auparavant.
En ce qu'il s'agit du style, rien de neuf sous le soleil ellroyen. Les stroboscopes lapidaires utilisés par l'auteur sont toujours à l'ordre du jour, et la polyvalence des supports utilisés se perpétue pour imiter une forme d'enquête pleine d'annexes, toute faite de rapports de police, de conversations téléphoniques ou d'extraits de journaux intimes, tout en alternant des points de vue de manière assez classique. Ensuite, la narration de James Ellroy semble à la fois avoir gagner en intensité, en diversité, en action tout en s'étant profondément apaisé. Il y a une forme de calme très palpable qui tranche notamment avec le style ultra-lapidaire de l'épilogue du Quatuor de Los Angeles White Jazz qui laissait deviner alors une certaine colère pleine de frustration et d'aigreur. Les derniers chapitres du roman se lancent également dans de réguliers dédoublements de personnalité, de points de vue et se mettent soudain à scander des formes d'interjections poétiques. Que dire de cette épopée ellroyenne pleine de souffle et d'énergie qui transporte le lecteur dans un monde parallèle et sombre aux chausses-trappes symboliques et évocatrices de réalités dérangeantes et parfois pleines de vérité ? Peut-être que James Ellroy a vu, et prévu, la dynamique de notre monde, et peut-être a-t-il compris que ce qui pouvait pousser un homme à se mouvoir, évoluer, ou régresser : c'est la Femme elle-même. Belles perspectives.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Livres lus
Créée
le 12 mars 2019
Critique lue 163 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Underworld USA
Quelques 900 pages après l’attaque de fourgon blindé la mieux écrite de l’histoire, je referme le dernier volet de trilogie sur les 60’s de James Ellroy, le souffle court, des images plein la tête et...
Par
le 6 août 2015
6 j'aime
Dernier volume de la trilogie d'Ellroy dans le cadre de l'histoire contemporaine des USA. Le simple fait d'avoir lu les deux premiers en fait un incontournable. Pourtant, il y a une vrai cassure dans...
Par
le 5 janv. 2011
6 j'aime
2
J'ai toujours du mal à démarrer les Ellroy mais alors celui ci particulièrement... il m'a fallu plusieurs semaines pour passer la page 100. Après, c'est parti et c'est toujours aussi bon, percutant,...
Par
le 8 nov. 2010
3 j'aime
Du même critique
L'une des questions philosophiques les plus profondes évoquées par cette nouvelle excellente série de Ryan Murphy (c'est assez rare pour être noté) rappelle d'une certaine façon à mon esprit pourtant...
Par
le 6 juin 2023
25 j'aime
11
Laetitia Colombiani a écrit un livre de magasines féminins bas de gamme, qui ferait presque rougir Amélie Nothomb ou Marc Lévy par sa médiocrité. Pourtant, l'envie était très forte : une publicité...
Par
le 2 juil. 2017
23 j'aime
10
Âpre lecteur de classiques en tout genre, admirateur absolu de tous les stylistes et grands romanciers des temps perdus, je m'attaquai à Orgueil et Préjugés avec l'espérance d'un nouveau coup de...
Par
le 21 sept. 2022
17 j'aime
11