Dans son nouveau roman, Une femme avec personne dedans, Chloé Delaume tente une expédition du langage. Elle lance, enlève, repositionne, ajoute, coupe, casse, revisite le sens des lettres et des mots.
Après s'être attaquée au drame de son enfance, dans son roman Le Cri du Sablier, publié onze ans plus tôt, Chloé Delaume appuie désormais sur ses problèmes actuels dans Une femme avec personne dedans. Là, il n'est question que du « Je » au plus profond, de l'individu propre face à la société mais surtout face à ses sentiments. Le trouble de l'auteur semble premièrement causé par le suicide d'une de ses lectrices, puis comme une vue plongeante, l'on s'aventure dans sa vie et dans sa tête, découvrant une succession de problèmes. La révélation de son homosexualité, au cours de son mariage, l'amène à décrire la complexité du trio amoureux qu'elle forme avec Igor et « La Clef », son amante.
L'auteur se permet de mélanger autobiographie et fiction, entraînant de force son lecteur dans un labyrinthe complexe dont on ne semble pas voir les limites. Dès les premières pages la présentation formelle des dialogues est mise de côté et accentue l'incompréhension du déroulement narratif. Chaque mot suscite des interrogations sur sa signification dans le contexte du récit. On a le sentiment qu'elle ne retranscrit que quelques bribes de ses idées, passant sous silence certains moments, nous laissant dans un flou total. Les voix semblent être multiples, elle le confirme en alternant entre deux pronoms, le « Je » et le « Elle ». Chloé Delaume proclame être « auteur, narratrice et héroïne » et ainsi rappelle sans cesse « l'autofiction ». Mais le nombre d'interlocuteurs crée très vite un vacarme insupportable dans la tête du lecteur. La communication simple, sujet-verbe-complément, est souvent ignorée. Chloé Delaume préfère la tronquer contre des métaphores, des personnifications, des jeux de mots et des répétitions.
Les inspirations prises dans l'OuLiPo : l'Ouvroir de Littérature Potentielle, et les influences par des auteurs tels que Raymond Queneau ou Boris Vian sont exagérément marquées. Le style d'écriture utilisé est l'expérimental, soit un style basé sur la recherche, le changement, ou l'invention des mots, le fait de s'imposer des contraintes à soi-même. A travers les différentes structures du texte ( liste, poème, discours... ), qui ressortent aux yeux du lecteur comme un immense puzzle inachevé, Chloé Delaume souligne une volonté de reconstitution personnelle mais elle semble avoir pris trop de risques. A l'instar des hommes, qui dans la Bible, avaient voulu construire une tour pour atteindre les cieux, l'auteur a peut-être fait preuve dans ce roman d'une trop grande ambition. Mais surtout, elle a instauré des règles sans mettre le lecteur dans la confidence. Le message qu'elle souhaitait alors faire passer est brouillé. Elle seule connaît le sens réel de cette histoire, c'est du moins seule qu'elle continue à en chercher le sens car le lecteur, lui, s'est perdu dans ce dédale du langage.