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Du réveil jusqu’au lendemain matin, le personnage d’Une parfaite journée parfaite tente de se suicider. De toutes les manières possibles et imaginables, réalistes et absurdes. Il les fantasme plutôt. Car tout à coup, le suicide a lieu là devant ses yeux au sein d’une normalité apathique.
Malgré le sujet, ce livre ne frôle jamais l’apitoiement ou le négativisme. Bien au contraire, c’est avec un humour fin, noir et décalé, et qui se joue de l’absurde (décalages de tons, incongruité, …) qu’est abordée la journée parfaite du personnage.
Et à travers cette journée, c’est une enfilade de vérités vraies tout au long du livre, de ces phrases si bien trouvées qu’on est obligés de demeurer quelques secondes (au moins) là, à contempler la phrase qui passe dans notre esprit, comme « Pour être heureux, je crois qu’il suffirait que je me balade nu sous une douche portative. Il n’y a pas que chez soi que l’on a besoin de se relaxer, de se débarrasser des puces de stress. Je rêve d’un chouette monde idéal avec des douches partout, dans les salles de classe, le métro, les supermarchés et dans la rue à côté des cabines téléphoniques. » (p. 14) ; avouez qu’on ne peut pas rester de marbre face à ça, on ne peut retenir au moins un rictus et aussi un petit rire étouffé.
Sauf que dans ce court roman (111 pages), ça ne s’arrête jamais. Le rythme est dynamique, condensé, juste et enivrant. On le lit facilement en quelques heures, en une après-midi parfaite de lecture parfaite.
Dans sa postface, Page prévient tout de suite : il ne cherchait aucunement à faire une critique sociale de son contemporain. On peut y voir ce qu’on veut, c’est sûr, mais personnellement je me suis surtout dit que ce livre est un bel hommage à la vie justement.
Le personnage a beau être suicidaire, neurasthénique, vidé et désespéré, la vie toujours révèle sa force tranquille : il va falloir plus que ça pour m’user, mon joli, alors qu’est-ce que tu attends, plutôt que de lutter, pour en profiter ?
Et tiens, une dernière pour la route, parce que j’adore celle-là et qu’elle parle de musique!
« Les ouvrages les plus solides sur Terre, nous assure-t-on, sont les pyramides d’Egypte, rien n’a dépassé leur forme millénaire. Mais ces gigantesques pierres sont constituées de multitudes de grains, et entre ces grains, il n’y a que de l’air. Prenons maintenant le cas de la musique. Une musique est constituée de notes, et entre ces notes, il y a du silence. Comme l’air entre les grains de pierre, ce silence ne peut pas être deviné, il est invisible à nos oreilles, mais ce silence est le ciment des notes, il est leur liaison. Et si l’air peut disparaître, bouger, le silence, lui, est inaltérable. On peut démolir une pyramide ; on ne peut ébrécher la musique. Ce qui fait de la musique la seule architecture qui peut se mesurer à l’infini. » (Paris : Points, DL 2010, cop. 2002, p. 54-55).