Après avoir redéfini les contours du récit de vampire avec Dans les veines, puis ceux du loup-garou dans Vertèbres, l'autrice Morgane Caussarieu s'attaque à une nouvelle créature du folklore fantastique : la sirène ! Répondant au doux nom de Visqueuse, cette nouvelle incursion de l'autrice dans l'horreur fantastique est-elle une véritable réussite ?
La capture d’une étrange sirène des marécages, aussi fascinante que monstrueuse, fait basculer la vie d’Arsène. La créature, séquestrée dans une cave, va devoir survivre hors de l’eau, dans le monde impitoyable des hommes. Elle sera l’objet de toutes les convoitises, jusqu’à attirer l’attention d’une nonne-naturaliste.
La première volée de pages de Visqueuse pose rapidement un cadre unique comme seul sait en créer Caussarieu : une France rurale des années 1930 au sein de laquelle orbite des personnages doux-amers. Du violent Arsène à la tendre Huguette, de la pauvre sirène séquestrée à la naturaliste Louise Simone, l'autrice démontre une nouvelle fois un talent certain à dresser des portraits variés et crédibles dans un contexte fantastique fascinant. Moins underground et trash que l'était Dans les veines, Visqueuse n'en reste pas moins pourvu de moments violents qui n'épargnent pas les âmes sensibles, mais dont la gratuité n'est jamais le maître mot, loin de là.
Armée de son scalpel littéraire, Caussarieu décortique les pulsions tapies dans l'esprit humain, ainsi que ses déviances les plus obscures, mettant en lumière cette dualité hypocrite entre le fantasme des difformités corporelles et le rejet maladif de la différence.
Les personnages d'Arsène et de Louise Simone, bien que différents dans leurs personnalités et leurs intentions envers la sirène, témoignent pourtant d'une curiosité lubrique envers cette dernière, nommée Mélusine, qui dépasse la simple empathie naturelle. Préférant la hisser en créature fascinante plutôt qu'en l'humaine qu'elle cherche à devenir.
Véritable page turner haletant et repoussant, Visqueuse nous entraîne dans un flot d'émotions contradictoires, entre répulsion et fascination morbide, au travers des derniers soubresauts de la culture freaks et des croyances magiques rurales, aujourd'hui disparues. On reprochera cependant au roman un final un tantinet brusque et un climax désamorcé par une succession d'ellipses, qui nous fera perdre au passage beaucoup d'affect envers les personnages.
Visqueuse, c'est donc une nouvelle fois la preuve que Morgane Caussarieu est LA référence de la littérature fantastique et horrifique française, tant dans sa façon d'ancrer ses récits dans une vaste fresque générationnelle, que dans sa capacité à susciter le frisson, comme la répulsion.
Son appropriation des figures clés de la littérature fantastique pour en faire découvrir des facettes inexplorées, confère une fraîcheur bienvenue à ce sous-genre mal aimé qu'est l'horreur déviante.