Voyage sans fin pour Bardamu, ou la dernière page salutaire pour le lecteur.

La lecture de ce livre a été pour moi longue et pénible.


D'autres l'ont souligné déjà : ce n'est pas tant la gymnastique inhabituelle qu'il impose au cerveau par son savant mélange d'oral argotique et de subjonctif imparfait, que le flot ininterrompu des sales pensées de Ferdinand Bardamu, à coups de très longues phrases avares en ponctuation, qui rend cette lecture éprouvante.


Céline a, dans nombre de passages, de belles envolées (parfois une phrase, parfois un paragraphe entier) qui lui valent de ma part une note qui n'est pas inférieure, en plus de l'effet de style intéressant dû au mélange que je viens d'évoquer. Il peut susciter le rire comme l'horreur, et c'est sans doute ce qui explique une bonne partie des suffrages qu'il emporte.


Je crois (peut-être à tort) avoir l'avantage de n'attacher que peu d'importance au contexte dans lequel cet ouvrage a été publié ou à toutes les tares que l'on voulait bien attribuer à son auteur. J'y suis donc allée, pour ainsi dire, sans a priori.


Reste que Voyage au bout de la nuit transpire une misère crasse, non pas celle du monde dans lequel vit le narrateur, mais celle du narrateur lui-même : une mentalité sale, misérable, égotique, méprisante et vulgaire suinte par tous les pores de ce personnage. Misérable, Bardamu l'est en soi, enfermé dans son propre dégout du monde, à vomir son fiel sur tous ceux qui croisent sa route. Quand il se reconnait misérable et emmerdeur, ce n'est que pour mieux trouver prétexte à contaminer un autre que lui.


L'oeuvre est misogyne au possible, car il n'est pas d'autres personnages que le narrateur méprise plus ouvertement que les femmes. Molly ne trouve grâce à ses yeux que parce que, confesse-t-il de lui-même, elle lui est entièrement dévouée ; il décrit les américaines assises au rez-de-chaussée de son hôtel new-yorkais par les mots "tentatives de viol en série", avec un enthousiasme dérangeant ; alors qu'il ne va la traquer jusque chez elle à New York que pour lui taxer du fric, il punit la superficialité de Lola en lui balançant des horreurs sur sa mère mourante d'un cancer ; il gifle à deux reprises Madelon simplement pour la remettre à sa place, parce qu'elle a eu l'audace de lui sourire en guise de réponse à une de ses provocations. La liste des scènes dans lesquelles Bardamu se comporte en véritable salaud n'est pas exhaustive.


J'en sors un rien écoeurée, et avec un unique regret : c'est Bardamu, que Madelon aurait dû abattre dans sa détresse. Mais le mérite de l'oeuvre réside peut-être dans le fait que le docteur comprend enfin qu'il n'arrivera jamais au bout de sa nuit, qui n'est pas dehors mais bien dedans. Pour ça, il lui faudrait le courage d'un Robinson, qu'il méprisait autant que tous les autres, de toute façon.

Vanille_Cm
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le 5 août 2019

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