Je pense que je serais en mesure d'écrire à moi toute seule une critique pour ou contre dans l'esprit de Télérama, tant j'ai été divisée par la lecture de ce roman de Céline. Bien sûr, l'écriture est absolument géniale, tantôt éblouissante, tantôt éclaboussante, et il y a dans ce roman des passages entiers qui marquent le lecteur au fer rouge et qui ne trouvent pas d'équivalents dans la littérature française ("Ce qui est pire c'est qu'on se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, où on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu'il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l'angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide."). Ce qui m'a dérangée en revanche c'est l'évident manque d'éthique qui transpire du roman, dont Bardamu est bien sûr le premier représentant, mais qui se trouve accentué par des personnages secondaires dénués de tout sens moral. Le roman transmet de fait un message extrêmement pessimiste, niant toute forme d'élévation à la nature humaine, ce qui m'a laissé un goût légèrement amer (n'étant pourtant pas moi-même une humaniste convaincue). Malgré cela, je retiens de ce roman des trésors d'écriture, dont la phrase pétrifiante de justesse "La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit".