Voyages et aventures du Capitaine Hatteras est à l'origine une sorte de reprise d'une nouvelle, Un hivernage dans les glaces, elle aussi écrite par Jules Verne, publiée sous forme de feuilleton dans un bimensuel dans un premier temps, puis paru via deux romans séparés dans un second temps, le roman que l'on peut lire aujourd'hui conservant alors cette structure en deux parties. Si je dis ça, ce n'est pas pour étaler mon immense culture (merci Wikipédia), mais car je pense que mon manque d'intérêt pour le roman dont il est question ici provient en grande partie de ce format, des contraintes qui ont probablement dû être imposées à l'auteur (ou qu'il s'est imposé lui-même), donnant l'impression que l'histoire qu'on a en face de nous est bien trop longue en plus d'être cousue de fil blanc.
Ça ne commençait pas si mal pourtant. En effet, là où Cinq semaines en ballon et Voyage au centre de la Terre assument d'emblée leur faible nombre de personnages, leur trio ; dans Voyages et aventures du Capitaine Hatteras, Verne joue davantage avec les codes établis dans ses précédents ouvrages et se permet de nous présenter un équipage composé de 18 personnes.
Plus audacieux encore, le fameux Capitaine Hatteras, dont le nom a exceptionnellement droit de faire partie du titre du livre (comprenez par là que même si ce n'est pas le seul cas, ce n'est pas non plus une habitude pour Jules Verne de faire figurer le nom de l'un de ses protagonistes dans le titre de ses livres), n'apparait réellement qu'après une centaine de pages, tout du moins si comme moi vous avez la version LGF - Le livre de poche et ses 532 pages. Un mystère entoure donc le personnage central du récit, tout aussi absent qu'il semble maîtriser la situation, arrivant en autre à faire parvenir des lettres à son second malgré le fait que nous ne l'ayons toujours pas vu.
On ressent pourtant une certaine répétitivité dans la structure des livres de Jules Verne malgré les deux changements énumérés plus haut. Une expédition, en l'occurrence au pôle Nord ; un scientifique brillant contribuant à la portée didactique de l'ouvrage, le très sympathique (et meilleur personnage du récit) Docteur Clawbonny ; un côté didactique rendant le livre parfois lourd à lire, notamment à cause de trop longues énumérations, des listes, parfois inintéressantes ; un certain jemenfoutisme de l'auteur sur la notion de divulgâchis ; des animaux qui se font tuer gratuitement (snif)… et bien évidement, des propos qui font parfois (bien) daté, Jules Verne traitant les esquimaux un peu comme de la merde au détour de quelques phrases, tout en se permettant, au passage, de véhiculer des clichés complètements cons à leur sujet :
Et cependant, à leurs vêtements huileux de peaux de phoque, à leurs bottes de même nature, à tout cet ensemble graisseux et infect qui ne permet pas de distinguer les hommes des femmes, il était facile de reconnaître de quelle nourriture ces gens-là faisaient usage ; d’ailleurs, comme chez tous les peuples ichthyophages, la lèpre les rongeait en partie, mais ils ne s’en portaient pas plus mal pour cela. (chapitre X de la première partie)
Cette première partie tient cependant bien la route. Certes, le côté pédagogique n'est pas forcément amené de la meilleure des façons, on sent que Verne veut avant tout trouver un moyen pour faire apprendre des choses au lecteur. On sent aussi que l'auteur a du mal à gérer cette troupe de 18 personnages, même si cela apporte un côté « gestion du moral » loin d'être inintéressant (mon côté “gamer” doit probablement jouer là-dedans). Troupe de 18 personnages pour la majorité insignifiante aux yeux du lecteur, et pour la majorité restantes, détestable… ce qui est le cas du Capitaine Hatteras l'est justement.
Et c'est là où le roman perd encore plus en intérêt, une fois arrivé dans cette seconde partie. Que fait l'auteur pour traiter le problème du trop grand nombre de personnages ? Il se débarrasse de 13 d'entre eux d'un coup d'un seul. Des personnages dont on sait, par avance, ce qu'il va plus ou moins leur advenir. On y gagne par contre l'apparition d'un nouveau personnage, celui de Altamont, capitaine lui aussi, seul rescapé d'un navire américain s'étant échoué. Là encore, quand on connaît l'aversion que peut avoir Hatteras pour les bouffeurs de Big Mac, on devine immédiatement le but, la finalité, d'avoir inclus un personnage tel que le Capitaine Altamont dans le récit. Je n'ai certes énuméré que deux exemples, mais comprenez bien qu'une écrasante majorité des intrigues de cette seconde partie se révèlent justement être cousues de fil blanc. L'autre truc, en plus de la prévisibilité de cette même seconde partie, c'est qu'elle n'est pas forcément ni très bien écrite, ni très intéressante à lire (pour du Verne comprenez le bien) : on a droit à une sorte de guerre entre humains et ours, certains chapitres ne semblent être présents que pour « gagner » du temps (par exemple ceux concernant la construction du phare ou les deux dans lesquels on se rend finalement compte qu'ils tournaient en rond), et l'auteur se permet même quelques extravagances via certaines de ses curiosités (para)scientifiques : plusieurs pages, sans aucune crédibilités, étant consacrées à des records de températures supportés par l'homme.
On voit donc sérieusement le temps passer en tournant les pages de cette seconde partie, et on prie un petit peu pour qu'un événement un poil plus audacieux vienne briser la monotonie.
Malheureusement, bien que cela arrive, il faut en fait attendre la toute fin de l'ouvrage pour cela. En effet (et c'est là où je spoil méchamment le récit), c'est dans ces dernières pages que Jules Verne surprend le plus puisqu'il fait tout simplement « payer » son personnage principal en le faisant succomber à la folie (à noter que dans le manuscrit initial, Hatteras mourait en atteignant le pôle Nord). Inutile donc de dire qu'avec ce goût doux-amer en bouche (l'expédition demeure toute de même une réussite), que l'on s'éloigne de l'optimisme de Jules Verne, pourtant présent dans la majorité de ses écrits. Je reste tout de même dubitatif quant à la profondeur de ce personnage, tantôt présenté comme un héros ; tantôt se rapprochant de quelqu'un de trop d4rk, cachant ses émotions ; tantôt méprisable, pensant qu'on peut tout acheter ; tantôt dépeint comme quelqu'un d'extrêmement pragmatique, au point où il commence à faire un tout petit peu peur (mais du genre encore plus pragmatique qu'un Commandant Shepard dans Mass Effect puisqu'il se révèle sur le point de tuer un membre de l'équipage à un moment donné). À croire que même l'auteur ne savait pas réellement que faire avec son personnage.
Reste tout de même à noter, qu'en plus des nombreuses théories évoquées dans l'ouvrage, que nombre des informations présentées proviennent du journal de bord personnel d'Émile de Bray, officier de la marine française, et explorateur de l’Arctique à la recherche de l’expédition de Sir John Franklin (encore une fois merci Wikipédia), avec qui l'auteur se serait lié d'amitié. Reste aussi à noter que, même si les informations se révèlent tout de même pertinentes, qu'elles ne sont pas forcément placées de la meilleure des façons : des pavés d'informations nous étant balancés à la gueule d'un coup pour ne plus rien avoir pendant plusieurs dizaines de pages. Bref, inutile donc de dire que ce Voyages et aventures du Capitaine Hatteras n'est probablement pas le roman le mieux rythmé de l'auteur, vous l'aurez deviné par vous-même.
Je serais tenté de dire que quand on a lu un Jules Verne, on les a tous lus. En tout cas, ce Voyages et aventures du Capitaine Hatteras m'a fait cet effet, et ses trop nombreuses longueurs ne lui ont en aucun cas été bénéfiques (merci Captain Obvious). Du coup, je vais faire une longue pause dans ma lecture des écrits de l'auteur samariens de mon côté.
En attendant, maintenant que son expédition est terminée, le Capitaine va enfin pouvoir ouvrir son restaurant… à terrasse.