Wilderness, c'est un livre délicat. C'est un sujet fort qui m'a touché bien plus que je ne l'aurai pensé et m'a laissé pas mal de traces.
Il se déroule entre la Guerre de Sécession et le début du XXème siècle. C'est l'histoire d'Abel Truman, vieil homme mutilé, hanté par son passé de soldat dans l'armée sudiste. Il vit reclus au bord de l'océan, avec pour seule compagnie son vieux chien fatigué, ses cauchemars et ses regrets. Il a vécu la bataille de la Wilderness en 1864, une véritable boucherie qui a fauché ses quelques amis et la plupart de sa garnison, la seule famille qui lui restait encore après une vie déjà bien marquée par les drames. Alors, lorsque deux voyageurs lui enlèvent son chien (ils organisent des combats de chiens à travers la région) et le laissent pour mort dans un coin, l'homme que l'on pensait brisé se relève, et part à sa recherche, qu'importent les conséquences.
Wilderness, c'est le reflet de la violence inouïe qui agitait les Etats-Unis à cette époque (et qui est révélatrice de ce qu'elle est aujourd'hui). Le récit alterne entre 1864 et 1899. En 1864, on revit la bataille de la Wilderness aux côtés d'un jeune Abel Truman, traumatisé par la perte d'un enfant et la folie d'une femme, et qui, comme pas mal de soldats, s'est retrouvé engagé dans l'armée non pas par conviction mais par défaut. Ces hommes, parfois encore des enfants, engagés pour l'argent ou parce qu'ils n'avaient pas le choix, deviennent ses plus proches amis. La raison d'être de son armée, le refus de l'abolition de l'esclavage et ce racisme ambiant, devient sa façon de penser, puisqu'il se laisse aller à la pensée unique, se fond dans la masse. Puis survient la guerre, fauchant tout sur son passage, l'estropiant, le blessant presque mortellement, et marquant définitivement sa vie.
En 1899, Abel est un vieil homme solitaire, remâchant un passé douloureux, ne voulant aucune attache, ne comptant sur rien d'autre que sur lui-même. On le sait malade, on le pense brisé, mais il est encore bien vivant, en quête de rédemption, et avec une volonté de vivre dont lui-même n'a pas conscience.
Lance Weller nous raconte ça en alternant des moments de poésie et de contemplations propres aux grands espaces américains, et une violence incroyable, celle des hommes de cette époque, aussi rugueux que l'environnement dans lequel ils évoluent et sauvage que le paysage des Etats-Unis. Mais surtout prêts à tout pour se sortir de leur condition, marqués par la naissance et le développement de leur pays dans la violence et la haine. Abel lui-même est un exemple de cette ambiguïté américaine, à la fois généreux, honnête et bon, il peut se montrer parfois extrêmement fermé d'esprit, blessant et brutal. Il n'a en soi rien contre les noirs et les indiens qui ne lui ont jamais rien fait de mal. Au contraire, il est ami avec plusieurs d'entre eux, et il leur doit sa survie, mais il ne sait pas contenir les préjugés qu'on lui a mis dans le crâne avant l’abolition de l'esclavage et la victoire d'Abraham Lincoln. On s'attache donc à lui, cet homme ballotté par l'histoire, malmené par la vie, ce jeune homme courageux et désespéré, ce vieil homme malade qui tient malgré tout à la vie... et on le déteste aussi. On ne comprend pas comment cet homme (nordiste de surcroît) a pu se laisser embrigader sans rien dire dans l'armée sudiste, se laisser aller à croire en leurs convictions, et Lance Weller appuie sur cette ambiguïté en larguant comme des bombes les petites phrases assassines qu'Abel ne peut s'empêcher de dire, le regrettant ensuite... quand le mal est déjà fait.
Bien sûr ce sujet est toujours d'actualité, la différence et la peur de l'autre sont encore aujourd'hui facteurs de guerres qui gangrènent le monde, et en tant que Miss France, je lutterai contre la paix dans le monde. (...Hmm, l'aspect bateau de ma phrase m'a conduite à une dérive de blonditude aiguë. Il n'empêche : votez pour moi!)
Bon je ne suis clairement une pro des States. Je n'en connais que ce que j'en lis, ce que je vois au cinéma, à la télé, dans les journaux. J'ai mon propre avis de Française dessus et mes sentiments sont aussi ambiguës, influencés par les préjugés véhiculés par ma propre culture européenne. Mais comme tout le monde (soyons honnêtes) je suis fascinée par ce pays et leur histoire. La Guerre de Sécession, comme bien d'autres guerres à travers l'histoire, a eu son "utilité" avec l'abolition de l'esclavage, mais a eu des effets désastreux sur la population américaine, sur les vétérans qui en ont réchappé, sur les familles décimées, et à laissé place à bien d'autres problèmes toujours aussi nauséabonds... Et je ne peux pas m'empêcher de remarquer cette contradiction ancrée dans la culture américaine, qui scinde ce pays et le soude à la fois et qui me captive, cette contradiction capitale d'un pays jeune, crée par des émigrés de plusieurs origines, qui se dit "terre d'accueil" et "nouveau monde", et qui assume et renie à la fois les étrangers qui le compose. C'est-ti quand même pas fou ça ?
Il y a quelques jours, nous avons regardés Gangs of New York en famille, les deux humains au chaud sous la couette et le félin en tas ronflant sur la moquette. L'histoire se passe dans les années 1840/1850, et la problématique est la même, le rejet des premiers "américains" pour les étrangers qui débarquent en ville, les irlandais ou les chinois, et pour les noirs qui sont la raison du conflit sanglant qui agite le pays et envoie tous les hommes crever sur le front. Le sang coule à flots, la haine imprègne chaque dialogue et la crasse illumine chaque image. J'adore ce film. Il me montre définitivement que les américains ont un don pour raconter des histoires, aussi mortifiantes qu'elles soient, et me passionner ! Et je peux dire que Wilderness, grâce à la façon dont Lance Weller conte la guerre, la souffrance, la douleur sous toutes ses formes, et surtout la mort, m'a totalement ébranlé.
Il faut savoir que je suis une vraie fillette. Dès que quelqu'un pleure dans un film, je me met à renifler en espérant faire le moins de bruit possible et je force mes yeux a rester grands ouverts en me disant "chiale pas tu vas te rendre ridicule, chiale pas!". Bien-sûr je me mets toujours à chialer, nettoie subrepticement mes yeux de la pulpe du doigt l'air très concentrée, genre "personne n'a rien vu". Mais je pleure très facilement... pour la mort d'un animal, une rupture douloureuse, je suis une glande lacrymale vivante. Mais PAS pour les livres. J'ai dû pleurer une fois dans ma vie pour un livre... et encore. Wilderness a réussit l'exploit de m'arracher de véritables larmes. Ces moments là, où vous lisez un texte qui vous bouleverse, tellement puissant que votre ventre se noue et le souffle vous manque... c'est exactement ce que j'ai ressenti. Wilderness est un roman dur, d'une beauté cruelle, dont la réalité désagréable vous égratigne, vous laisse une cicatrice, comme pour vous rappeler son existence.
Bref, si vous n'avez pas peur d'une lecture rude, tantôt douce, tantôt amère, que vous aimez l'histoire, être éprouvé, être touché par un roman, et désirez lire un écrivain de qualité... eh bien Wilderness est pour vous. Mon argumentaire n'était pas facile, le mot "violence" était même plutôt redondant, alors pour vous convaincre, je vais vous dire qu'il y a des ours lubriques dedans. Vous m'croyez pas ? Chiche.