L’Affiche rouge
8.7
L’Affiche rouge

Morceau de Léo Ferré (2011)

« La mort n'éblouit pas les yeux des partisans »

Une de mes chansons préférées. Mais par où commencer ? Peut-être par le texte. D'abord et avant tout, L'affiche rouge est un poème sublime de Louis Aragon inspiré de la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée, avant son exécution, en février 1944.

Avant d'en dire plus, voici le texte d'Aragon, que je ne peux m'empêcher de vous proposer à la lecture, poème écrit en 1955, onze ans après l'exécution des vingt-trois membres du groupe Manouchian :

« Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes
Ni l'orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L'affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c'est alors que l'un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant »

Il y a beaucoup à dire pour commenter ce texte, dont je vous donne quelques clés de compréhension, pour ceux qui ne connaîtraient pas les événements dont il est question. En résumé, la chanson fait référence à une affiche qui fut placardée sur les murs de Paris en février 1944, au moment du procès de 23 résistants membres du groupe Manouchian qui furent condamnés à mort le 19 février puis exécutés au Mont Valérien le 21 février 1944. Ils appartenaient aux Francs-Tireurs et Partisans Main d'Œuvre Immigrée (FTP-MOI) et comprenaient majoritairement des étrangers et de nombreux Juifs, d'où les noms difficiles à prononcer du poème (voir par exemple : http://fr.wikipedia.org/wiki/Affiche_rouge). Comme indiqué également dans le poème, l'affiche, couleur rouge sang, visait à assimiler les résistants à la fois à des Juifs et des étrangers, mais aussi à des terroristes (« l'armée du crime »).

Surtout, et c'est là que c'en est d'autant plus beau, les quatre dernières strophes sont inspirées de la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée, qu'on peut par exemple lire ici : http://hgec-grigny69.over-blog.com/article-25444679.html , et si Aragon écrit merveilleusement ces derniers moments avant l'exécution, il ne trahit en rien la pensée de Manouchian quand celui demande à sa femme de trouver un mari et d'avoir un enfant, quand il affirme mourir sans haine pour le peuple allemand. Rien qu'en écrivant ces mots, j'entends les vers chantés par Ferré et mon corps ne peut s'empêcher de frissonner devant tant de beauté, et aussi la tristesse qui émane de ce moment.

Ces gens n'étaient pas Français, et ils se sont battus pour la France, pour les valeurs de ce pays, pour la liberté, pour notre liberté, nous leur devons tant. Ce poème nous transmet ainsi le souvenir de ces actes héroïques, à une époque où malheureusement les étrangers sont toujours aussi mal traités, sans parler des Français qui ont le seul tort d'avoir une origine étrangère ou une couleur de peau différente.

Le poème est magnifique, mais il faut absolument l'écouter, car il prend alors une autre dimension : lorsqu'on entend Ferré prononcer ce texte, uniquement accompagné par un chœur, ça prend alors une autre dimension. Pour ma part, des frissons me gagnent, Ferré parvenant admirablement à transmettre son émotion, notamment lorsqu'il s'adresse à Mélinée. Et la chanson se termine avec un roulement de tambour, évoquant l'exécution...

En 1955, Aragon écrivait ce texte pour lutter contre l'oubli. En 2011, il m'apparaît, malheureusement, encore plus nécessaire de relire Aragon et d'écouter Ferré interpréter l'Affiche rouge.

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le 3 févr. 2012

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socrate

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