Magnum Opus

Inspiration - Expiration

C'est ce par quoi débute la pièce maîtresse du rap français moderne à mes yeux. Nekfeu entame son morceau le plus abouti par un soupir, l'expression de son trouble moral, voire existentielle, ce qui va de soi quand les paroles finissent par débuter sur une instrumentale très volatile mais presque oppressante.

Puis vient le premier couplet, un enchaînement de questions rhétoriques sur l'action ou l'inaction, le sentiment ou le ressenti, destinées à l'auditeur et à Ken lui-même. Des questions que tout jeune d'aujourd'hui peut être amené à se poser. Les questions reposent beaucoup sur une défiance morale, il dessine ici les contours de l'humanoïde que lui et son auditeur va incarner à travers le morceau. Rongé par des questionnements auxquels je peux m'identifier dans la majorité, Nekfeu nous emporte, sûrement inconsciemment, dans un procédé de validation subjective, ce qui est surtout notable sur la fin du couplet.

Outre le début d'une démonstration technique avec une homéotéleute sur la voyelle "é", ce pont évoque son humanité innée malgré le fait que son éducation ne soit pas des plus prestigieuses. Venant ainsi esquisser sa propre distinction, il évoque connaître ce qu'est la difficulté, mais malgré ça, il utilise sa plume pour s'exprimer sur ses dégoûts engendrés par la société moderne.

Mais, un jour, j'partirai sans affaire, attiré par les sens inverses

Dans la continuité autant technique que figuratif, le deuxième couplet enchaîne allitérations et assonances, venant insister sur chaque lignes afin de transmettre un message d'une telle intensité englobée d'un sentiment d'honnêteté de par son ton si grave. Nekfeu nous parle comme si son succès n'avait jamais eu lieu, comme si ce n'était que la vision d'un homme écœuré par ce qu'il voit, sans les points positifs que lui a apporté sa réussite.

Entrer dans ce monde plat nous dessert

Encore une fois, le sens de cette ligne est embellie par un jeu de mots d'une telle qualité. Le second pont est la première partie du son où Nekfeu parle uniquement de lui même.

Le troisième et dernier couplet est la perfection incarnée à mes yeux. Nekfeu nous étale tout son potentiel lyrique, la technique est inégalée à l'heure actuelle. Adoptant un ton agressif, ses pensées et révélations personnelles se multiplient.

Pire qu'un robot d'Asimov, ta vie : un casi no
T'es quasi ment en liberté enfermé dans des cases i mmenses

Même ici, le nom Isaac est caché à l'aide d'une paronomase tellement subtile sur les sons "Casi" pris à l'envers.

Nekfeu se livre à nous sur ce dernier couplet, comme si toutes ses peines venaient se loger dans un déluge lyrique. Son flow enragé s'emballe sur le passage de son amour regretté. On a affaire la à un humanoïde.

Il conclut ce titre sur un outro plein de sens, laissant l'auditeur y réfléchir une seconde fois. Nekfeu vient de lever le pinceau sur son tableau de Picasso. Malgré sa revendication d'Humanoïde, ce son a l'air d'être interprété par un aliéné désespéré par la vision de sa propre vie et de ce qui l'entoure. Ce morceau est rempli de double sens, de jeu de mots que moi même je suis sûr de n'avoir pas totalement explorer. J'y vois tellement plus qu'une démonstration (évidente) de son talent comme certain pourrait lancer à l'encontre de ce morceau, car le morceau dispose d'une vraie âme. Mais malgré ça, il a su aligné la perfection technique à un réel souhait de nous transmettre un sentiment puissant. Les paroles de Nekfeu dénoncent une déshumanisation de la société, au gré des désastres de notre monde, il s'interroge sur ses proches choix, les mettant en parallèles avec les dérives de tout ce qu'il dénonce, du moins pour les deux premiers couplets. Car il se délivre de tout sur le dernier couplet, admettant son imperfection mais en la détachant des réels maux de notre monde.
Et c'est pourquoi Humanoïde incarne parfaitement le titre qui devait être le premier de l'album, et à mes yeux le plus apprécié par le grand public, même si ce n'est visiblement pas le cas au niveau des chiffres.

J'espère un jour retrouver un sentiment d'une telle puissance en écoutant un son de rap français.