Le nom de cette chanson aurait très bien pu être "Leçon d'humilité" ou "Droit dans ses bottes", car c'est exactement ce qui en ressort. Georges Brassens nous conte l'histoire d'un petit musicien qui est "prodigieusement" récompensé par un roi qui lui offre la possibilité d'être noble, dû à la qualité de ses chansons, ou du moins au succès qu'elles rencontraient. Néanmoins, le petit joueur de flûteau va poliment refuser l'offre du château en évoquant le fait qu'il trahirait "le pays" et qu'il ne serait pas à sa place en ce lieux. En réalité, ce modeste musicien n'est autre que Brassens lui-même, qui adresse poétiquement une réponse aux membres de l'Académie Française, car le Sétois refuse alors l'obtention de son fauteuil sous la Coupole.


Ce texte est un long sacrifice couronné par l'humilité admirable d'un poète sur le chemin de la simplicité et de la spontanéité. Car Brassens ira jusqu'à renier son talent dans un élan de modestie et d’intelligence que son génie parsème dans les vers de ce poème.


Ce dernier est composé dans sa presque totalité de rimes riches, que Brassens manie toujours avec une aisance folle : "flûteau-château" "chanson-blason" . Or à deux passages de sa chanson, Georges a volontairement utilisé des rimes pauvres. Au début du texte apparait ce vers qui est la première parole du joueur de flûteau : " Je ne veux pas être noble Répondit le croque-note ". Le poète se sert ici d'une rime pauvre "noble-note" afin de justifier son refus: il n'a pas le talent d'un grand poète, donc ne mérite pas d'accéder à un tel honneur; d'ailleurs la parole "croque-note" est péjorative dans cette phrase, en voulant rabaisser le musicien à un vulgaire colporteur de chanson.


Ainsi ce simple passage montre la voie que prendra ce texte, celle de l'auto-critique et du blâme, décision surprenante de l'artiste qui est prêt à parjurer son art, au profit des valeurs de l'homme qui a toujours chérit une vie simple et naïve. Néanmoins cette quête de l'abnégation est vaine tant son travail et son art suscitent l'admiration et le respect, pouvant même aller jusqu'à la glorification d'un homme qui aurait peut-être voulu être comme tout le monde. Cette question de la gloire et de l'image qu'a Brassens l'a toujours tracassé. On la retrouve dans "Les Trompettes de la Renommée" ou dans le "Supplique pour être enterré à la plage de Sète" où il dit préférer reposer sur sa modeste plage plutôt qu'au panthéon qu'il qualifie de "froid" dans "Le vieux Léon"...


Dès lors, ce texte est bien plus qu'une simple réponse dissimulée sous la forme d'une petite histoire; ici, l'artiste meurt pour ses idées, mais de mort lente... Tellement lente qu'on pourrait presque se demander s'il agonise vraiment. Tellement lente qu'on en viendrait à croire que l'artiste serait immortel. Car Brassens n'arrive pas à le tuer, la beauté et l'élégance de cette tentative de suicide artistique place encore davantage le poète ainsi que ses œuvres sous l'égide de notre amour et de notre admiration.


Finalement, la seule véritable demande de Brassens dans ce texte est que " Dieu reconnaisse pour sien Le brave petit musicien", Dieu n'ayant jamais eut de réelle importance pour le poète, il me semblerait logique qu'ici Dieu soit le reflet des principes moraux de l'auteur ainsi que le symbole de la réconciliation de Brassens avec lui-même. Aboutissement d'une résignation ayant l'amer goût du reniement de son génie.

Harfeldwin
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le 22 oct. 2019

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