Si Damien Saez n’a pas toujours su me convaincre de son talent, notamment sur certains albums en particulier où j’ai trouvé l’accompagnement musical plus agressif qu’autre chose avec des textes vulgaires et une voix chantée sans maîtrise, l’album complet Le Manifeste – L’Oiseau Liberté, plus court qu’à son habitude et en pleine médiatisation de terrorismes sur Paris au milieu des années 2010 m’a absolument captivé et ému pour se propulser parmi mes albums préférés. Je vous propose de découvrir pourquoi avec une critique du morceau L’Oiseau Liberté.
Ce n’est pas un adieu, c’est juste un au revoir
Nos internationales battront toujours l’espoir
Et si nos frères tombent nous chanterons leur mémoire
Et si c’est sous les bombes que s’écrit notre histoire
Nous resserrerons nos rangs, nous planterons nos croix
Nous combattrons les vents toi qui nous combattra
Comme un oiseau blessé dans la nuit volera
Mon oiseau liberté qui repart au combat
Bon déjà, on sent que le message est tout de suite adapté pour une situation où des morts sont à déplorer, encore une fois dans le contexte de terrorismes, mais on sent aussi cette pointe d’espoir avec cette mise en abîme de chanter la mémoire des défunts, ce que fait la chanson, cette image d’oiseau liberté prenant son envol encore et toujours… en plus d’incarner un combat pacifiste avec cette image du vent en réponse à la violence bien concrète. Tout le message de la chanson est brillamment condensé dans ce premier couplet.
Quant à la forme, ça rime très bien de façon très suivie et agréable avec quelques effets de style sympathiques au passage, comme la répétition de « et si » ou de « nous » conjugué au futur, pas grand-chose à redire à ce niveau-là. La guitare accompagne gentiment tout ça pour donner le rythme en s’en laissant sous le pied pour la suite de la chanson, là encore c’est du tout bon pour ma part sachant que bien sûr ça va prendre de l’ampleur petit à petit.
S’il faut mourir d’amour, mourir de liberté
Partir comme un oiseau qui s’en est envolé
Alors oui que je meurs comme un drapeau dressé
Une rose tendue face aux fusils pointés
Une rose en martyr pour nos humanités
Juste un bouquet d’amour pour nos amis tombés
Qui n’ont ouï que leur fleur à offrir au bûcher
Qu’une fleur à leur tendre à ces fusils pointés
La métaphore de l’oiseau est toujours présente même si cette fois c’est plus l’image, un peu clichée certes, de la fleur qui est au centre du couplet pour accentuer le pacifisme du message qui n’était qu’évoqué jusqu’ici. Si on demande d’illustrer un pacifisme, tendre la fleur au fusil vient tout de suite en tête et c’est pas très original de reprendre ça littéralement par contre décliner cette image de la fleur à l’enterrement et au martyr, c’est déjà plus élaboré.
J’adore surtout cette expression de « rose en martyr pour nos humanités, » qu’on peut comprendre de bien des façons (pour le bien de tous les peuples par delà leurs différences, ce qui fait de nous des êtres humains et qui serait donc la non-violence…). Par contre, la rime en -é suivi 8 fois, c’était peut-être un peu trop facile même s’il y en a 4 dans le tas qui sont des rimes suffisantes en -té. Bon après ça reste agréable à l’écoute donc pour moi c’est l’essentiel.
Que se lèvent tous ceux qui ont le même Dieu sur terre
Puisque le Dieu des Dieux oui c’est d’aimer son frère
Quelle que soit la douleur des blessures de nos âmes
De mon pays qui pleure quand on touche à la flamme
Quels que soient les cimetières enfants de notre patrie
La force des lumières tire plus loin qu’un fusil
Mon pays des lumières il est l’heure de s’unir
Ton drapeau triste France, il est l’heure de brandir
Que flotte pour toujours de ce vendredi noir
Mon pays liberté le drapeau de l’espoir
Alors là ça y est, de nouveaux messages apparaissent avec la religion qui ne doit pas nourrir de conflits, la colère même légitime et intense ne devant pas prendre le contrôle sur nous, la connaissance comme valeur surpassant la violence, la désignation très explicite de la France comme destinataire du message… et j’avoue que je trouve que toutes ces notions sont superbement formulées et s’imbriquent très intelligemment dans la chanson.
Je regretterai peut-être juste l’expression « vendredi noir » qui fait perdre un tout petit peu de son caractère universel au message. Et puis sur la forme on a bien évolué avec des rimes suivies suffisantes plus nombreuses et plus diversifiées au sein du même couplet pourtant plus long, l’image des Lumières pour parler de la connaissance tout en marquant la spécificité française du message... On notera également que l’accompagnement vocal se fait un peu entendre en fond pour amorcer efficacement le crescendo à venir.
Un jour l’oiseau m’a dit comme un souffle printemps
Qu’un jour prochain oui sur la terre de nos enfants
Il n’y aura plus la guerre il n’y aura plus le sang
Y aura plus ces misères qui nous cernent à tous vents
Mon oiseau liberté ne craint pas les fusils
Il ne craint pas les balles de toutes tyrannies
Et même s’il s’envole tué par l’infamie
Renaîtra de ses cendres mon oiseau infini
On revient cette fois-ci sur un idéal de paix mondial que l’on sait pas pour demain mais que l’on espère tout de même voir arrivé un jour. Ça tombe un peu dans la naïveté avec cette image de l’oiseau qui ne craint rien et qui s’il vient à tomber reviendra de toute façon mais ça reste un beau message et la gravité de ce qui pouvait être évoqué plus tôt fait que cette bouffée d’air est tout de même bien rafraîchissante et plutôt pertinente.
Sur la forme, on est revenu aux rimes suivies du premier couplet, plaisant sans être extra-ordinaire avec un champ lexical prononcé sur le vent mais sinon ce n’est pas là qu’on sera en présence d’une petite merveille poétique. Mais si le texte est plutôt calme, la musique elle gagne encore en intensité et en rythme comme pour signifier que l’essentiel du message se situe peut-être là, dans ce pacifisme idéalisé.
Il repart au combat sous le ciel de novembre
La lumière renaîtra pour de meilleurs septembres
Il repart au combat face à l’ombre des nuits
Il repart au combat contre la triste vie
Il vole sur les plaines il s’en va triste plume
Sous le chant de nos peines sous le chant de la lune
Au vent soufflant les terres qu’on martèle à l’enclume
Nous chantons nos prières pour que la nuit s’allume
Alors là l’exercice poétique est beaucoup plus marqué, ce qui veut vite me déranger dans les musiques de cette artiste qui peut rapidement baigner dans le flou de sens à cause de ça mais comme là le texte a beaucoup exprimé d’idées avant, ça me dérange moins dans le principe. Et c’est en voyant ça que je me dis que les couplets les moins efficaces en termes de rimes mais les plus chargés de sens ont leur place pleine et entière, complémentaire avec ce style de couplet-là
S’il y a quelques rimes qui ratent de peu, il faut reconnaître que là c’est beaucoup plus ambitieux avec des rimes en milieu et en fin de chaque vers se répondant selon la même structure tout du long, c’était presque impossible à faire parfaitement et pourtant le résultat final est plus que satisfaisant à mon goût. Il n’y a qu’à lister les effets de style pour en avoir un aperçu, je ne vais même pas essayer tant ça prendrait du temps.
Chante avec moi frangin pour notre mère la Terre
Qu’ici-bas il n’est rien qui ne fasse lumière
Nous sommes tous en chemin vers l’obscur ou le clair
Et perdus dans l’écrin de notre mère la Terre
Envolés sur le dos de l’oiseau liberté
Emportés par les crocs de la haine incarnée
J’ai pas beaucoup à dire de plus sur ce passage parce qu’il reste dans le même style poétique en reprenant un peu plus les idées du texte déjà évoqués. Par contre, je soulignerai que l’intensité véhiculée marche superbement bien sur moi à partir de là grâce aux voix et à l’accompagnement musical encore un cran au-dessus et avec cette adresse directe à nous qui écoutons la chanson, comme « envolés sur le dos de l’oiseau liberté. »
Si nous sommes cernés par tous les terrorismes
Ceux du sang de la haine ou ceux de nos fascismes
S’il faut plus qu’une armée pour protéger nos libres
On ne combat jamais mieux qu’en ouvrant des livres
Pour ceux-là fusillés qui pour l’éternité
Resteront le symbole de notre liberté
Nous chantons nos prières, nous chantons pour la Terre
Nous chantons la lumière contre l’obscurité
Putain que c’est magnifique ! Pardon, je m’emporte mais je suis ému au plus haut point à chaque fois à ce moment-là de la chanson. Si l’on peut vite pointer du doigt le terrorisme en question dans ce style de chanson, là c’est brillant tant ça désigne tout ce qui peut s’y rapporter en nous incluant dans ce tout, « ceux de nos fascismes ». Il y a un champ lexical du combat qui oublie la naïveté passée tout en consacrant le rôle premier de la connaissance introduit plus tôt, un hommage émouvant fait aux morts avec un champ lexical religieux qui se repose sur ce qui a été dit à ce sujet précédemment, c’est superbe en tout point !
Et la forme c’est du même niveau avec par exemple ces termes si proches de libres et de livres qui se répondent magnifiquement, encore la mise en abîme du chant qui fait écho à notre écoute de la chanson à son côté entraînant grandissant, l’intensité de l’adresse directe avec l’emploi du nous… avec cette même puissance musicale pour porter tout ça, mais la chanson peut faire ce qu’elle veut elle est parmi mes préférées à la fin de ce couplet.
Tous les peuples du monde poing levé liberté
Quelles que soient les prières pour ne pas oublier
Mains tendues à leurs frères contre fusils pointés
Que nous sommes sur la terre tous frères d’humanité
Nous sommes fils des Ardennes, nous sommes fils de Provence
Puis jusqu’aux Aquitaines, nous sommes la France
Nous sommes pays du libre pays de tolérance
Face à l’assassin nous offrons l’innocence
De l’oiseau liberté face aux horreurs mitrailles
Nous ne quitterons jamais oui le champ de bataille
Nous n’avons qu’un seul Dieu c’est la vie sur Terre
Nous n’avons qu’un seul Dieu c’est d’aimer son frère
Vu la superbe du couplet précédent, on revient à quelque-chose de très bien mais de peut-être moins génial tant la barre a été placée haut. Le devoir de mémoire, le combat demeurant pacifiste, la fraternité entre les peuples… sont rappelés pour être liés aux valeurs françaises, « pays du libre pays de tolérance », ça marche plutôt bien mais clairement ça commence à se répéter dans le propos, voire à faire du sur place, rien de gênant à ça, surtout dans une chanson sans refrain de 6 minutes, mais tout de même il faut l’admettre.
Je pourrai en dire autant sur la forme avec ces rimes suivies qui s’enchaînent bien sans être toutes pauvres et en se renouvelant un minimum, ou encore avec la musique qui a déjà atteint son apogée et qui va rester forte sans pouvoir autant marquer de nouveau, normal. C’est assez rare qu’un crescendo aussi progressif tienne 6 minutes durant sans jamais ralentir ou maintenir le rythme.
Mon oiseau liberté ne craint pas les fusils
Il ne craint pas les balles de toutes tyrannies
Et même s’il s’envole tué par l’infamie
Renaîtra de ses cendres mon oiseau l’infini
Et même s’il s’envole tué par l’infamie
Renaîtra de ses cendres mon oiseau l’infini
Et voilà une bien belle conclusion qui reprend enfin certains vers de la chanson ici et là comme pour revenir au message de départ, celui d’un espoir en lequel on peut toujours croire, ce qui est un choix tout à fait intelligent même s’il n’offre pas de relecture ou quoi que ce soit de ce genre, ça revient juste sur une note positive en douceur. Une performance en tout cas que d’avoir écrit toujours de nouveaux vers pour l’ensemble de la chanson, en dehors de cette courte conclusion.
Et pour conclure cette critique, quel merveilleux message livré avec richesse, poésie et intensité que cet oiseau liberté ! L’album dans son ensemble le réussit très bien, mais personnellement c’est avec cette chanson que je ressens le plus cet espoir de voir arriver un monde meilleur malgré l’horreur des événements ayant motivé ce texte. Si la musique sert avant tout à émouvoir et à faire réfléchir, celle-ci est l’une de mes préférées.