Manège
9.3
Manège

Morceau de Veence Hanao ()

... Ecoute et ressens aussi. Ressens cette atmosphère, une petite mélodie enfantine, une fête foraine comme on en a tous déjà arpenté. Elles se ressemblent toutes. Immersion dans l'atmosphère du lieu, l'odeur sucrée de barbe à papa. Et pourtant, déjà, cette mélancolie qui s'installe, d'abord par la musique.


Décalage immédiat entre cette mélodie et des gros plans presque anxiogènes sur de petites choses innocentes.
Au moins l'auditeur (ou le spectateur du clip) n'est pas pris par surprise. Très vite l'instrumentation et le visage sibyllin de Veence nous indique qu'il sera question de l'enfance certes, mais pas directement. Plutôt à travers le prisme de la nostalgie que suscite ce spectacle. Ces heures passées à contempler les néons bariolés, les yeux pleins d'étoiles, à manger des cochonneries trop grasses. Nostalgie mise à mal dans un parallèle entre cette image d'Epinal de l'enfance joyeuse et la routine sentimentale de nos vies d'adultes.


Voilà l'ambiance qu'installe l'artiste dès le début de l'histoire. Et il introduit le morceau par ce refrain :



Nous aimons caresser les crinières de bois de nos chevaux de bois.



Première surprise et indice, qu'on peut facilement louper par manque d'attention. (ce fut mon cas) Veence ne dit pas "nous aimions caresser..." (enfant donc) mais "nous aimons". Ça change déjà beaucoup de choses. Finalement le manège et l'enfance ne seront qu'un prétexte pour parler des "grands". La répétition de bois pourrait être une simple maladresse si l'on ne parlais pas de l'une des plus belles plumes francophones. Peut-être une façon d'insister sur le côté factice de cette monture.



Même qu'on les connaît d'jà, même qu'on n's'en lass'ra pas



Le sujet central débarque, la routine, l'habitude symbolisée par ce manège qui tourne en rond. (comme aurait dit La Palice)



Toi et sa peau s'acharnent à s'enlacer



A mon avis, c'est autant l'enfant qui se cramponne à son destrier que ces couples qui s'accrochent désespérément à une histoire terminée. D'ailleurs la suite semble le confirmer. La métaphore se file et on comprend que l'attitude du gosse sur son manège est celle qu'on a presque tous connu sentimentalement.
Plus tard il est bien question des "manèges adultes" formule si explicite qu'il est inutile de la préciser.
La transition de l'enfant vers l'âge de raison et ses constats cinglants.



Et dans la course à la thune même l'amour f'ra la pute



Petit on entend des choses qu'on met du temps à comprendre.
La puérilité de certains passages vient renforcer la profonde mélancolie qui se dégage de ce morceau, et le décalage entre la vision d'un enfant et la complexité des problèmes dont tente de parler Vincent.



Faire des tours puis revenir tel quel, s'rendre compte qu'la chaise
est vide, merde, où sont père, mère ?...



On voit bien ce à quoi il est fait référence concernant l'enfance. Cela dit, je serais bien incapable d'expliquer ce que ces quelques mots signifient sur l'âge adulte et les sentiments, pourtant je comprends parfaitement ce que le mec veut dire, mais je ne trouve aucun moyen de l'expliquer simplement.



Déjà 10 ans qu'le manège est en marche, en descendre ferait si mal...



Eh oui, chaque seconde de plus dans une histoire d'amour est à ajouter au traumatisme que causera la rupture. C'est en général la règle. Il en résulte ce cercle vicieux, cette spirale du "toujours plus de la même chose". Toute romance, aussi belle soit-elle, a un double tranchant.
Sur ces quelques mots s'ouvre une interlude sans parole, un refrain où vient s'ajouter à la boîte à musique un chant mélismatique qui donne une note désespérée à cette mélancolie.


Le dernier couplet s'enfonce encore dans cette démonstration glaçante de bon sens. Veence y étend encore son propos, le Grand manège semblant désormais désigner celui de la vie en général. La façon dont se broient nos rêves...



...et comme tout le monde s'dit la même...



L'ouverture finale s'attarde elle sur un manège très précis, donc chaque étape est symbolisée par la répétition de ces mots. Soudainement le discours se fait plus politique, passe d'une complainte désabusée, classique dans son contenu, à quelque chose de plus.


Le rappeur exprime de la plus belle des façons comment et pourquoi ce manège s'entretient. Comment chaque individu, en anticipant le comportement de ses semblables, part de son sentiment d'impuissance et en revient toujours à ce même sentiment. On tourne en rond, habités par cette conviction que les autres choisiront toujours de rester dans le cercle infernal. Finalement on comprend que ces choses, que tout le monde se dit, sont fausses, et ne découlent que des a priori qu'on a sur notre voisin. Le serpent se mord la queue. Le résultat est qu'on "retourne à l'usine" mais c'est surtout la cause de la première assertion : "On va pas refaire le monde". Cesser d'y croire est la norme parce qu'on s'en convainc, et surtout pas l'inverse.


L'artiste en parle très bien en interview :



C'est difficile de parler d'une génération en deux mots mais, pour moi
c'est clairement une génération qui manque de rêve.



Tout est dit.



...Et l'homme de dev'nir partie du manège...



Je comprends ce "partie" au sens physique. Nous ne sommes pas sur le manège, embarqués par lui, nous sommes le manège. Nous ne le subissons pas, collectivement, nous sommes le monde. Nous nous isolons dans l'idée que personne d'autre n'en a conscience. Cette croyance erronée fait à elle seule tourner la roue...


Voilà pour moi le sens de ces derniers mots, mimés du bout des lèvres. Le visage usé. Le regard empestant le Spleen des trentenaires désabusés.


S'arrêter avant la longue outro musicale serait se priver d'une chance de méditer ces paroles d'une trop rare lucidité.


Je laisse le mot de la fin à un autre poète :



Est-ce que les solutions sont au plus profond de nos crânes ?
Dans toutes nos résolutions ou dans le fond d'un jerrycan ?
En outre est-ce que mes critères sont autres que ceux du milieu ?

Est-ce que je suis solitaire ? Devrais-je foutre le camp des lieux ?



Fayçal


Maxime_Le_Ster
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le 19 juil. 2015

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Jean Luque

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