La vie de merde, vue par... 5 - The Dead Kennedys (Mind the bollocks)

Lancé sous le signe du conflit générationnel essentialisé (les parents « square », bornés, pas dans le coup, deviennent l’« old fart » le vieux con, vieux donc con), de la colère noire (destroy), de la critique mimétique (le pogo), d’une situation objectivement dramatique (no future) et de l’ultra-individualisme (« JE veux être un anarchiste », « JE veux une émeute bien à moi »), le « nous » punk fut nettement moins homogène et politiquement bien plus ambivalent que le « nous » hippie. Il était lui aussi sans conteste de gauche, et tout aussi radicalement. Mais constitutivement, il rendit très, très facile de « se tromper de colère » (haha) et très, très tentant de « faire entendre sa voix » (haha).


Il y eut donc des punks joyeux, des punks séminaux, des punks preneurs de parole, des punks preneurs de pouvoir, des punks preneurs de conscience, des punks qui vivaient debout et les yeux ouverts, mais aussi des punks nihilistes, des punks nombrilistes, des punks cyniques, des punks nazis, des punks adorateurs de la provoc et des punks idiots détruisant n’importe qui et n’importe quoi. Et dans la maison Vie de Merde, il y eut une scission fondamentale entre deux interprétations irréconciliables du punk, l’une mue par l’instinct de vie, l’autre mue par l’instinct de mort.


Don’t get me wrong. Il y eut peu, très peu de groupes punks nazis ou fascistes, et même chez les skinheads, ils étaient minoritaires. L’extrême-droite et la créativité, ça se marie mal ensemble (mais de tels mariages arrivent quand même, et là ça fait très très mal, il faut le remarquer en passant). Enfin il n’y a pas lieu de leur faire l’honneur de les nommer. C’était pas eux le problème.


Le problème, c’était le ver dans le fruit punk. C’était les punks qui ont sacrifié le sens à l’attitude, permettant ainsi la babélisation du mouvement et la prolifération de subcultures pseudo-punk et bidon au moment même où les murmures dans le son du silence s’époumonaient enfin. Le problème, ce fut l’installation d’un confusionnisme par trop-plein de second degré, de dérision, de perte de foi et de provoc, qui exacerba les aspirations identitaires et donna à des groupes de gauche des publics d’extrême-droite, faisant prendre, par ricochet, lesdits groupes pour des groupes d’extrême-droite.


Furent victimes de ces évolutions conjointes des gens pas ambigus pour deux sous comme Sham 69, qui finirent par jeter l’éponge précisément à cause de ça, Cockney Rejects, Angelic Upstarts ou UK Subs, qui durent se trimballer des publics de hooligans et de boneheads et n’en furent pas ravis. Même les Smiths, puis Morrissey, tombèrent sous le coup de la suspicion pour crime de nationalisme – Sham 69 & Co en étaient passibles aussi, Stiff Little Fingers aussi (mais eux ils avaient le droit, étant irlandais) -, au point que Morrissey finit par ne plus trop savoir lui-même où il habitait. Pourtant le nationalisme n’est qu’un prolongement logique de l’ultra-individualisme : faut pas s’étonner qu’il soit, comme lui, ambigu et à double tranchant. Merde, quand Jefferson Airplane (remarquez leur nom) chantaient Volunteers of America, got a revolution, qui les percevait comme des salopards de suprémacistes d’extrême-droite ? Personne, vu que la « hippie attitude », ça n’existait pas.


Etre mû par l’instinct de mort, c’est pas non plus ce qu’on croit couramment. C’est pas je ne sais quelle tendance satanique ou romantique à l’autodestruction, c’est au contraire un sauve-qui-peut-la vie qui vous détruit à votre insu. En l’occurrence, c’est ne retenir d’un esprit que son apparence et faire d’un look une ontologie. Si c’est le look qui fait l’esprit, rien de plus simple : l’énergie, la colère, la révolte, l’indomptabilité, la souveraineté du libertaire punk enfin…. ça s’achète, et pour pas cher. « Come and get your punk in Woolworths », observait très tôt Patrik Fitzgerald avec une ironie d’une amertume infinie (They make it safe, « ils récupèrent »).


Le fétichisme, c’est merveilleux ! Tu n’étais qu’un chien errant, une nullité, un wannabe, un qui voudrait bien avoir l’air mais qui a pas l’air du tout : tu t’achètes un collier de chien clouté pour, disons, deux-trois livres (une affaire unique ! à ne pas rater ! prix sacrifiés, y’en aura pas pour tout le monde !), et ça y est, t’as tout ce qu’ont les punks, tu ES un punk. Et un punk dispensé de la douleur des punks, puisque t’as pas besoin d’écouter ni de comprendre le message pour exister, et même un punk plus malin que les punks si t’as l’idée de génie d’ajouter une swastika (en promotion aujourd’hui seulement ! UNE livre seulement !) qui te rendra bien plus fort et bien plus puissant qu’eux. Alors qu’est-ce que ça peut te faire si tu trimballes toujours cette vieille haine de toi, inchangée. Tu es devenu fier comme un pou grâce à ce collier de chien clouté qui t’a coûté un prix dérisoire, t’as réussi à te sentir à la fois un intégré et un infiltré grâce à cette swastika quasiment donnée, te voilà fin prêt à acter ta conversion en rebelle chien de garde, et en rebelle chien de garde certain d’être un rebelle. Un putain de pitbull, quoi. Qui rend grâces en son cœur au Saint-Esprit du capitalisme qui l’a trouvé alors qu’il était perdu, et qui, dans sa miséricorde infinie, a su guider ses pas jusqu’aux néons du Woolworths juste au coin de la rue.


Il ne me semble donc pas inutile d’insister lourdement : les « nazi punks » engueulés par Jello Biafra sont en fait de faux punks et de faux nazis, juste de vrais paumés. Mais des paumés qui n’ont eu qu’à vénérer la Marchandise pour accéder au statut d’authentiques et dangereux cons de race pure, terrifiants non par leur idéologie (ils n’en ont pas, et même ils se flattent volontiers de ne pas en avoir), mais par leur inconscience totale de celle qu’ils véhiculent et reproduisent ainsi que des motivations qui les poussent à le faire. Les Dead Kennedys, qui s’emmerdaient pas avec la psychanalyse, appelaient ça des punks nazis. Ils avaient tort ?


Sur ce point, je ne suis pas d’accord avec les Sex Pistols : oh que oui, il faut faire attention aux conneries. Et ils le savaient, d’ailleurs, sinon ils ne nous auraient pas légué The Great Rock’n’roll Swindle. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que des grandes arnaques, il n’y en a pas qu’une, et que les arnaques, ça se pratique aussi (surtout ?) entre frères d’armes.


Incidemment, The Dead Kennedys, en français ça veut dire « Nos Héros Morts ».


A toi, Jello.


Le punk c’est pas un culte religieux
Le punk ça veut dire penser par soi-même
Suffit pas de te faire une iroquoise pour te croire un pur
Faut dégager le décérébré qui vit toujours dans ta tête


Punks nazis, punks nazis, punks nazis,
Cassez-vous !
Punks nazis, punks nazis, punks nazis,
Cassez-vous !


Si vous êtes venus pour vous battre, foutez le camp d’ici
Vous valez pas mieux que les videurs
Faire la police c’est pas notre ambition
Singer les flics c’est pas ça l’anarchie


Punks nazis, punks nazis, punks nazis,
Cassez-vous !
Punks nazis, punks nazis, punks nazis,
Cassez-vous !


Vous tombez à dix contre un, trop fort le courage
Vous vous battez entre vous, c’est la police qui gagne
Ce sont vos dos que vous poignardez quand vous pourrissez nos salles de concert
Allez pourrir une banque si vous avez vraiment des couilles
Vous en êtes encore à trouver les swastikas cool
Quand ce sont les vrais Nazis qui dirigent vos écoles
Les vrais Nazis, ce sont des entraîneurs, des hommes d’affaires et des flics
Sous un vrai Quatrième Reich vous seriez les premiers à dégager


Punks nazis, punks nazis, punks nazis,
Cassez-vous !
Punks nazis, punks nazis, punks nazis,
Cassez-vous !
Punks nazis
Cassez-vous !!!


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le 8 mai 2021

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