La nullité incarnée, ou Pourquoi vous vous devez d'écouter ce morceau

Pour commencer, je vous propose de regarder le clip fourni avec la musique : https://www.youtube.com/watch?v=X9JwjSVTr-c . Après ces quatre minutes de masochisme audiovisuel, vous comprendrez mieux ce qui suivra.


Je pense que, en dehors d'une certaine minorité de personnes, nous sommes d'accord pour dire que "On s'en bat les couilles" est un morceau de piètre qualité, voire une insulte au rap et à la musique en général. On pourrait même disserter pour savoir si ce morceau peut être qualifié de "musique", mais là n'est pas la question. Car je vais vous prouver que vous avez eu raison de subir ces quatre minutes de torture.


Mais d'abord, un petit avis. Ce qui frappe le plus en écoutant "On S'en Bat Les Couilles", c'est la pauvreté du langage. On ne compte plus les anaphores en "On s'en bat les couilles", en "Nique", en "Dédicace" ou en "C'est pour", qui commencent plus de 90% des phrases. L'expression "s'en battre les couilles", violente et vulgaire, est répétée une trentaine de fois, soit autant que l'expression non moins obscène et dégradante "Nique sa mère". Les rimes, quand elles sont présentes, ne volent pas haut : rimes en "é", et même une rime de "France" avec "France". Les mots arabes ponctuent les paroles, les rendant incompréhensibles. Le clip comporte une faute d'orthographe dans le titre. Pourtant, l'auteur se targue de faire partie des "élites du rap de Zehef". Rien que ça. Cette tragédie du langage a de quoi donner raison à Eric Zemmour, qui clamait haut et fort que les rappeurs étaient des analphabètes...


Pourtant, ce cri de la banlieue a un éminent intérêt sociologique. En effet, la situation politique française, affaiblie par la crise financière, n'est pas des meilleures. A travers le prisme de la sociologie, on peut voir entre les lignes de cette chanson un appel à l'aide, une dénonciation de ce qui ne va pas dans les banlieues. "Nique sa mère les fachos" renvoie au cercle vicieux de la discrimination : en refusant d'intégrer les jeunes banlieusards, ceux-ci se renferment sur eux-mêmes et rejoignent des groupes violents. "Nique sa mère les blindés qui pensent qu'à leur gueule" est une dénonciation explicite des riches capitalistes, trop égoïstes pour partager leur fortune avec les nécessiteux. Et ce ne sont là que quelques-uns des cris du coeur de ces jeunes, qui expriment leur haine avec un langage violent.


Si vous avez une certaine maîtrise du second degré, le clip ne manquera pas de vous faire rire par l'accumulation de clichés qu'on y trouve, entre les faux pistolets, le groupe qui supporte le chanteur et même la main anonyme qui prépare de la cocaïne à la fin du clip. D'autres éléments comiques plus subtils pourront aussi vous amuser : le choix d'un sample qui fait appel à l'émotion, peu adapté pour la situation ; le revirement brutal "C'est pour [...] les gars qui m'ont acheté mes t-shirts et mes CDs... / Nique sa mère les fachos !" entre 1:17 et 1:32 ; la tête peu convaincante de certains participants au clip ; et quelques prises maladroites pour ponctuer le tout. Les plus perspicaces auront peut-être même remarqué l'erreur de montage sonore à 0:16.


Mais la véritable raison pour laquelle je recommande ce clip (car je l'ai recommandé !), c'est pour que vous, jeunes adeptes de SensCritique, relativisiez un bon coup sur le jugement que vous faites d'une oeuvre culturelle en général. Oui, vous, là, qui mettez des 1 à tort et à travers ! Vous rendez-vous seulement compte que cela équivaut à mettre un 2/20 ? Je pense qu'on ne peut pas mettre impunément de 1 à des films comme "Rien à Déclarer" ou "Bienvenue chez les Ch'tis" sous prétexte qu'ils ne vous ont pas fait rire. En agissant ainsi, vous omettez leurs qualités et oubliez qu'il s'agit d'une oeuvre qui a nécessité le travail de nombreux professionnels. Dans le cas de Morsay, on peut toutefois se le permettre, non seulement car c'est une oeuvre assurément amateure, mais aussi pour les raisons énoncées dans les troisième et cinquième paragraphes de cette critique. Ecouter quelque chose d'aussi mauvais que "On s'en bat les couilles" vous fera réfléchir si, finalement, vous n'auriez pas dû mettre au moins 3 au dernier "Taxi".


Nous sommes sur un site qui porte le nom de SensCritique. Or, une critique ne se limite à faire l'inventaire des défauts d'une oeuvre ; elle sert à juger en pesant le pour et le contre, afin d'approcher d'un jugement relativement objectif. Méditez cela.


exécute une révérence et s'efface dans le lointain

ChevalierPetaud
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le 28 août 2014

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