Citation de Edmond Rostand
Pomme est sans doute l’une des chanteuses dont j’apprécie le plus le travail et celle que j’aime le plus analyser. Il y a une véritable liberté paradoxalement parfaitement calculée dans sa poésie qui donne un air envoûtant, une ambiance de mystère derrière ses chansons. Pomme ne dira jamais un mot de trop, une répétition qui desservirait son propos, au risque de faire des musiques très courtes à l’instar de la minute trente de "Ceux qui Rêvent". Mais ce qu’on perd en temps on le gagne en une maîtrise entourant le travail produit d’une magie naturelle voir rurale (on le voit avec les clips de son premier EP où elle évolue dans la campagne ou plus tard quand elle se montre avec divers fleurs/animaux) donnant au mystère de ses mots une beauté inlassable, nous poussant à revenir avec un même entrain à chaque fois pour essayer de trouver un sens dans ce déluge d’idées et d’émotions inondant les mots de chacun de ses vers.
Si les thèmes abordés par Pomme sont multiples, allant de la vieillesse (La Lavande) à la tromperie (La Gare) en passant par la dépression (Anxiété, Ceux qui Rêvent), elle a su garder une même approche de la complexité de l’âme par les émotions, dont il est aisé de voir l’influence de Françoise Hardy bien que le jeune poète a su se détacher de la moins jeune par un univers sensitif et cohérent. "Ceux qui Rêvent" et plus généralement tout l’album "A peut près" reste pour moi l’œuvre majeur de Pomme qui y illustre avec brio sa vision de ce qu’on pourrait appeler de la poésie moderne. Cette fascination pour ce premier album (et l’EP sorti ultérieurement) m’a pendant longtemps détourné de son second album "Les Failles" qui a mon sens s’était, par son approche plus métaphysique, détourné de la simplicité rurale qu’animait son travail. C’est en le réécoutant récemment que j’ai découvert qu’il n’en était rien (le rapport rurale est bien présent) et que c’était sûrement le ton global plus morose de l’œuvre qui m’avait repoussé à l’époque. Je dis bien à l’époque car j’ai aujourd’hui complètement intégré "Les Failles" et sa version additionnel dans l’élogieux palmarès de Pomme. L’acceptation du morose de "Les Failles" me ramène toujours vers le son Soleil Soleil qui y décrit bien la transition. Voilà pourquoi aujourd’hui sortez vos lunettes de soleil pour masquer vos larmes, vos failles car on parle de Pomme et plus précisément de "Soleil Soleil"
Un deux trois
Commencer par ce 1,2,3 peut paraître anodin, pourtant c’est lui qui marque le genre de la chanson. Comme beaucoup de ses musiques, Pomme joue ici plus dans la comptine que dans la chanson, tant la musique ne sert qu’à sublimer les paroles. La comptine a aussi une image de pureté, d’une part par une simplicité des paroles et de la musique, et d’une autre dans son premier sens qui la décrit elle n’est un jeu des mots et de geste pour désigner quelqu’un dans des jeux d’enfants (ex : am, stram, gram…). Mais Pomme touche en réalité le sens ancien de la comptine, celle des poètes, comme se sont essayer Hugo ou Lamartine, très proche du conte. De ce fait on attribut à la comptine une valeur de message qu’on répète (Évidemment de Lomepal dans sa version Motorbass suit le même procédé) à son public, et donc, ça prépare le spectateur à accueillir ce message.
Ne me demandez pas pourquoi
Quand vient l’hiver et le grand froid
On voudrait tous mourir
C’est sans doute la partie la plus iconique de la chanson pour quelqu’un qui l’a peu écoutée. Et pour cause, Pomme marque une décente aux enfers progressive mais termine quand même par une chute vertigineuse. Le premier vers annonce qu’elle ne maîtrise pas ce sujet, qu’il la dépasse et l’amène dans une zone d’inconfort mais avec un certain fatalisme, elle a abandonné sa recherche de réponse à cet événement. Le deuxième est surprenant pour une musique nommée Soleil Soleil car il nous parle de l’opposé de ce qu’on attendait, il fonctionne également en désescalade, d’abord il nous parle d’hivers (on imagine regarder la neige) puis de froid (on ressent l’effet désagréable voir douloureux de celle-ci). On y voit aussi un fatalisme, on ne peut pas empêcher l’hiver, on ne peut pas s’empêcher d’avoir froid. Mais cette désescalade du bonheur ne nous a en rien préparer au dernier vers. Quand Pomme écrit ses textes, elle cache souvent l’horreur derrière des métaphores et autres figures de style (De là-haut et La Lavande) et même "Pourquoi la mort te fait peur ?" cache son message. C’est ici la véritable première fois que Pomme nous parle aussi frontalement de violence, et en particulier de suicide. Cette sensation de choque est d’autant plus grande de par le "on" elle inclut le spectateur qu’elle avait invité à se projeter dans la chanson avec le vers précédent, ainsi que cette idée de fatalisme qui rend cette pensée inéluctable. On peut aussi dire que le choc est encore plus marqué par le changement de rythme et la cassure de la rime (oi-oid-ir).
Comme si c’était la première fois
Que la nuit tombait, dans nos bras
On voudrait tous partir
Pomme se sert des deux premiers vers pour deux choses, d’une part rappeler sa périodicité (l’hiver l’est également avec les saisons, mais il sert plus à montrer la douleur) et de l’autre qu’on ne peut pas se faire à cette périodicité, que ce n’est pas en accumulant la tristesse qu’on devient au bout d’un moment insensible à celle-ci, car oui Soleil Soleil nous parle du rapport qu’on entretien avec le bonheur métaphorisé par le soleil. Face au bonheur, Pomme décrit 2 situations, l’hiver et la nuit (mais on y reviendra plus tard une fois qu’on aura toutes les utilisations de ces deux éléments). Ce qui est très étrange, c’est que la précédente partie amenait une idée de violence qui persiste, malgré la tendresse avec laquelle la nuit arrive (dans nos bras, comme si nous étions son chevalier servant).
Pour finir on ne peut pas partir de la nuit, tout comme le soleil on ne peut qu’attendre que ça passe, une nouvelle fois Pomme vient montrer la fatalité qui gangrène le problème. L’idée de tendresse est aussi sublimée que cette fois-ci, la rime en "ir" est attendu, et l’idée de partir rejoint plus celle de fuir que celle de mourir.
Retrouver le soleil
Qui nous manque
Qui va brûler toute nos peines
Le soleil, qui nous hante
Oh reviens soleil soleil
Si vous me permettez de diverger, Pomme parle brièvement de Soleil Soleil dans sa vidéo Dans ma tête#8. Outre le fait qu’elle se moque particulièrement du ton morose de la première partie et fasse des blagues sur le possible commercial dont peuvent profiter des entreprises touristiques, elle soulève selon moi quelques points importants, à commencer par son contexte. Selon son autrice, La musique a été écrite à l’instinct (même s’il serait idiot de ne pas imaginer une relecture), au Québec en hiver, où le froid et omniprésent et ou le soleil se couche tôt et donc se fait rare. Cette façon de faire explique entre autre la présence du froid/neige dans la chanson mais aussi de la simplicité d’un texte qui donne parfois l’air d’un appel à l’aide d’une jeune femme frigorifiée. Pomme nous parle aussi sa volonté de rassembler les gens, d’incorporer le public dans sa lettre d’amour à la chaleur. La chanteuse fait également mention d’héliotropisme qui est ici à prendre dans ses deux sens du terme, à la fois le fait qu’on se tourne toujours vers le soleil mais aussi qu’on part à sa poursuite (Migration vers une zone plus ensoleillée). L’idée que la musique est écrite instinctivement et avec simplicité peut donner une impression que l’on est sur une hégémonie du soleil, et un réquisitoire du froid pourtant depuis le début de la chanson, Pomme dresse le portrait de deux relations toxiques. Celle avec le soleil qu’elle voit comme idéal mais en même temps inatteignable et limitée dans le temps, une relation unilatérale (Une boule de 1,989 × 1030 kg d’hydrogène n’ayant pas grand-chose à faire qu’on l’aime) fantasmée par Pomme (et tout le monde) mais qui ne peut se défaire de l’emprise du bonheur, car comme toute humaine, elle cherche à être heureuse, et la nuit, beaucoup plus stable mais en même temps qui ne lui convient pas, car si on peut trouver une forme de complaisance dans la nuit/tristesse, on ne peut pas y trouver le bonheur. Cette idée n’est pas inventée par Pomme, et même sans aller dans le théâtre tragique ou le romantisme, il est difficile de ne pas voir la ressemblance avec à Soleil de Dalida. Comment ne pas voir la relation toxique qu’entretient Dalida avec des passages comme : « Soleil ne m'oublie pas » [...] « Quand tu t'en vas rêver sous les tropiques, Je me sens seule » [...] « Fais-moi soleil tout ce que tu voudras » […] « Mais dés que tu t'éloignes un peu, Je t'en veux et j'ai froid ». Si Pomme est une des chanteuse les plus intelligentes de son temps en ce qui concerne ses écrits, c’est en parti car elle sait ce qu’elle doit à ses aînés, pour pouvoir par la suite s’en détacher. Là où Dalida joue à masquer son propos derrière un rythme et une voix enclins à la danse, Pomme elle n’essaie pas de cacher le malaise (je renvoie au mot mourir), mais plutôt la subtilité psychologique du sujet avec sa forme, sentant ici que cacher le fond derrière les métaphores poétiques desserviraient son propos, et que si un message doit être retenu des failles cachées c’est celui-ci. Ce qui est amusant avec ce refrain, c’est sa dissonance fluide. Rien ne rime sinon le premier et le dernier par le même mot, en tout, une hérésie poétique. C’est cette idée de dissonance harmonieuse qui anime ce refrain, cet héliotropisme poussé à l’extrême qui en devient malsain en somme cette relation avec le soleil et donc le bonheur. C’est une véritable descente aux enfers au fil des vers, que propose Soleil Soleil. On passe de l’idée de retrouver le soleil comme le serait une aventure poétique à une sensation de manque quand il n’est pas là, à un soleil seul outil de rédemption idyllique (TOUTE nos peines) mais un outil violent avec le terme brûle, à un soleil qui nous hante comme si on ne pouvait pas penser à autre chose que lui, au point de clôture sur le nom doux Soleil Soleil, comme si l’astre était un amant désintéressé, un Joker à pour nos cœurs d’Harley Quinn. L’idée centrale n’est pas de refuser le soleil (donc le bonheur) mais qu’on réagit de manière maladive quand il n’est plus là, une héliopathie (terme qui non existant mais adapté à la situation).
Ne regardez jamais en bas
Ou le méchant loup vous mangera
Vous perdrez l’équilibre
C’est sans doute une des parties qui m’a le plus poussé à penser que la réflexion allait au-delà de la simple idée d’héliotropisme, que même si le méchant loup pouvait avoir cette représentation de gigantesque créature nocturne très sombre cela n’avait pas grand lien avec la description d’une nuit sans soleil. De plus, même si c’était le froid ou la nuit qui nous comptaient nous manger, on aurait sûrement des soucis plus grave que perdre l’équilibre. Le méchant loup, c’est la bête maléfique par excellence, un antagoniste originel en Europe qui dans notre comptine fait référence à tout ce qui n’est pas le soleil. Je pense donc qu’on peut dire que dans cette partie Pomme énonce que se détourner du Soleil (regarder en bas et non en haut), du bonheur donne lieu à la création d’un monstre de nos peines et tristesses (que le soleil brûle dans le refrain) qui met à mal notre équilibre mental et qui nous pousse à chuter, nous éloignant un peu plus du zénithale soleil. Il faut bien comprendre que ce passage est très infantilisant, commençant par un ordre et menaçant l’enfant peu sage avec des menaces de gros monstres châtieurs tapis dans l’ombre, comme si derrière des paroles fondées et logiques se cachaient un fanatisme de l’héliotropisme refusant tout froid, toute nuit.
On va tous compter jusqu’à trois
Et faire une chaîne avec nos bras
Sur la route du sud
On reste dans une façon de faire s’apparaissant à du fanatisme, notamment avec ce premier vers qui a l’air d’être le début d’un jeu pour enfant. Après cette mise en garde, Pomme va proposer des solutions : dire des choses, se tenir la main, se déplacer dans le but de retrouver une sphère où l’on se trouve psychologiquement bien, c’est un lexique de faits et gestes limite sectaires. D’ailleurs le mot chaîne n’est pas anodin, on est prisonnier de l’héliotropisme (def: migration vers des zones plus chaudes), à se diriger vers le soleil car il est la seule clef du bonheur, lui même seule clef d’une vie heureuse.
Retrouver le soleil
Qui nous manque
Qui va brûler toute nos peines
Le soleil, qui nous hante
Oh reviens soleil soleil
Cette partie se répète et on en a déjà parlé en long en large et en travers la première fois, je tiens donc à préciser le "Pomme ne dira jamais un mot de trop, une répétition qui desservirait son propos" dit en introduction, et donc ici d’expliquer l’importance de la répétition. Il faut savoir que je fais mal mon travail d’analyste, et que je donne le point de vue de quelqu’un ayant écouté la musique facilement un millier de fois, or avec le contexte des parties précédentes, les deux refrains ne disent pas la même chose, deux vision que j’ai rassemblé pour plus de clarté. Si la première partie donne au refrain un aspect éloge de l’héliotropisme, la deuxième donne quand à elle un regard plus nuancé, moins certain quand au dire de Pomme qui a l’air complètement endoctrinée dans cette recherche du soleil, offrant donc au spectateur peut être l’idée des limites de l’héliotropisme et la reconsidération de l’attachement au soleil ressenti dans le premier refrain.
J’aimerai également parler des envolées vocales (je ne sais pas vraiment si c’est le terme adapté) qui surgissent après les refrains et qui, à mon sens, exprime la douleur de son autrice. On a donc une première envolée plutôt calme et une deuxième, uniquement présente durant le deuxième refrain, plus violente. C’est d’ailleurs le seul moment ou Pomme va s’appuyer de la musique pour porter d’avantage ses sentiments, là ou elle laissait la totale liberté à sa voix dans le reste. Je vois un peux ces cris comme « Voilà ce que je ressens quand le soleil n’est pas là »
Souvenez-vous, la prochaine fois
Que vient la neige et le fracas
on n’va pas tous mourir
Entre les braise on marchera
Et la nuit noir nous embrassera
On pourra tous partir
On pourra tous partir
Souvenez-vous qu’au début la chanson prend la forme d’une comptine donnant un message plaçant donc la chanteuse comme supérieur, supériorité qui va tomber dès le début quand la chanteuse avoue qu’elle ne sait rien, ce rapport ne va pas changer même dans la conclusion, assez vague. Pomme se montre en effet ambiguë quand à son positionnement quant à l’héliotropisme, dans un premier temps elle ne maîtrise pas son sujet, dans un deuxième elle se tourne vers une forme sectaire et maintenant elle nous parle avec un mélange fataliste/espoir. C’est pourtant logique si on prend la chanson d’un point de vu d’un raisonnement chronologique philosophique. Se limitant à un constat elle commence par aborder un raisonnement stoïcien, mais la dépendance au bonheur la pousse à l’héliotropisme, puis, se rendant compte que celui-ci et autant destructeur que le premier, Pomme va se tourner vers un entre deux flou (elle n’apporte pas de réponse clair) mais beaucoup plus sage. Si on continue dans l’idée que le soleil est le bonheur, qu’il entretient avec nous une relation toxique, et que la nuit est l’absence de bonheur (dépression/tristesse) et l’hiver le drame/souffrance qui a amené à la nuit, Pomme explique que pour s’en sortir, il faut accepter l’idée que le drame (l’hiver) viendra toujours, mais que si on est là pour entendre le fracas et sentir le froid, c’est qu’on est encore en vie, et que ce n’est pas une fin en soi (on ne pas pas tous mourir). Les braises étant logiquement les traces d’un bonheur passé et détruit, il faut donc les dépasser (sortir de notre relation toxique avec ce bonheur nostalgique) et accepter que l’on est triste, accepter la nuit, pour la dépasser et partir de cette endroit.
Que dire de plus devant la beauté de ce raisonnement sublimé par une poésie sans égale, que dire de plus que la solution au problème pour finir cette analyse ? Peut être que finalement, comme le dit pomme, pour accéder au bonheur il faut accepter que celui-ci est éphémère. Peut être aussi que la réponse était sous notre nez depuis le début, et que "Soleil Soleil" n’était pas un mot doux, mais simplement l’idée qu’il existe plusieurs Soleil, un différent qui se lève pour faire fuir nos nuits noires, pour échapper à nos cauchemars, un différent chaque matin en vue de petit à petit réchauffer nos cœurs et les faire fleurir le printemps venu, qu’il donne cette été un fruit coloré qu’on donnera à qui nous sont chers, avant l’automne, histoire de voir d’autres arbres pousser autour de vous, afin que, quand l’hiver arrivera, vous sentiez au chaud même sans vos feuilles. J’espère que votre fruit fera venir les bonnes personnes, je pense que le mien sera une pomme, à voir ce que l’été me réserve.