Lettre de Batman à Jessica Jones

(J'annonce, ça spoil)

Ma très chère Jessica Jones,
En premier lieu je tiens à me présenter, je suis Batman AKA l'homme qui se déguise en chauve-souris la nuit pour faire le justicier – je ne sais pas si cela t'évoque grand-chose, je sais bien que toi tu ne revêts aucun costume, évidemment, on est bien plus « dark » lorsqu'on s'habille en sweat à capuche tous les jours, puis comme ça tu dois te sentir comme Eliott dans Mr Robot, je pense que c'est gratifiant. J'opère sans super pouvoir autre que mon intelligence – « pouvoir » qui semble plus utile que le tiens, on en reparlera, ne me prend pas pour un homme méprisant, je suis là pour te conseiller – dans un monde parallèle au tiens qui se nomme DC Comics. Vois-tu, alors que je comptais des cailloux dans ma Batcave, j'ai un peu regardé l'épopée en treize épisodes contant tes petites aventures et j'aimerai beaucoup qu'on parle Jessica Jones, tu as besoin d'aide et avec mon existence vieille de 77 ans et mon expérience de neuf longs-métrages, je pense pouvoir t'aider.

Ma pauvre Jessica, déjà, vas-tu bien ? Je me suis demandé pendant les presque 12 heures que tu as arrachés à ma vie, si tu n'avais pas mal quelque part tant tes expressions faciales paraissent être les grimaces diverses et variées de quelqu'un souffrant de lourds maux de ventre. On me reproche souvent d'être un peu trop froid et dénué d'expression, mais j'ai tendance à préférer la sobriété aux froncements de sourcils exagérés et aux retroussements de lèvres inquiétants. Je ne parle pas de ton ami **Luke Cage** qui m'a fait quelque fois sursauter, tant je pensais qu'il portait un masque ou que son visage était taillé dans de la pierre. Heureusement lorsque je l'ai surpris en train de cligner des yeux, j'ai été rassuré, « *ouf*, me suis-je dit, *il n'est pas mort ni pétrifié.* » (quand on a souvent à faire avec Mr Freeze, on s'inquiète rapidement). En parlant de vous deux, je me demandais si vous étiez obligé de montrer aux yeux du monde entier vos séances de sexe endiablé. Je ne suis pas prude, mais vous voir prendre votre pied ensemble ça ne m'intéresse que très peu, surtout qu'entre nous, les lits cassés à la *Twilight*, la violence passionnelle à la *Mr et Mrs Smith*, n'est-ce pas un peu ridicule ? Mais il semblerait que cela vous ait été profitable en tout cas, puisque de tendres sentiments amoureux naquirent entre vous et qu'à part vos heures à gémir ensemble je n'ai pas repéré tant de conversations spirituelles ou banales, ce qui me fait me dire que finalement « la bonne baise » aboutit à de « bons gros sentiments » chez vous. Heureusement que je ne tombe pas fou amoureux de toutes les femmes avec qui je couche car sinon – je ne me vante pas ici, je ne sais pas si j'ai quelques charmes mais quelques sourires arrivent à les faire succomber – j'aurai beaucoup trop d'amoureuses.
Laissons ta vie sentimentale à part Jessica, pardonne moi d'être intrusif, je suis un peu vieux ça me rend taquin – s'il te plaît ne me prend pas pour un pervers. Parlons de tes autres amis. Oh, au temps pour moi, comme tu veux te la jouer fille distante, mystérieuse et fatale (une girl avec un dragon tattoo adoucie qui a quand même « un petit cœur tendre sous sa carapace de pangolin »), tu n'as pas d'amis. Je suis le premier à comprendre qu'on veille s'éloigner des autres pour que nos actions de héros ne fassent pas d'eux les cibles de nos ennemis, mais la vraie solution ma chère Jessica c'est de porter un masque, une cagoule ou quelque chose au lieu de te dévoiler sans complexe aux yeux de tous. Bien que pour ton commerce de détective privé il valait peut-être mieux que chacun connaisse et ton visage et ton nom, c'est mieux pour les affaires, quel joli coup marketing, je suis à ça d'essayer de te pistonner auprès de mon ami **Bruce Wayne** pour qu'il te concède un poste dans son entreprise. Je suis de mauvaise foi, tu as quand même une ami, **Trish**. Là je salue, je n'ai jamais connu de pareille amitié. C'est d'ailleurs la seule chose qui paraît naturelle et réussie dans la portion de te petite vie que j'ai observé. Vous êtes adorables, fortes ensembles et très touchantes, même si juger votre relation fait de moi un type ignoble, lorsque c'est la seule chose intéressante que j'ai pu observer, j'aime m'y attarder. Néanmoins Jessica, sache que ce n'est pas parce que ton amie est belle et blonde qu'elle est idiote et au lieu de la traiter de « naïve » à tour de bras, tu devrais l'écouter car je la trouve moins extrémiste et plus maligne que toi. Tu as choisi de prendre son aide qu'à la fin, alors que si dès le début lorsqu'elle te proposais ses services tu avais accepté au lieu de te la jouer vieux loup solitaire (par excès d'égo ou par volonté de ralentir les choses pour donner un semblant d'intérêt à ton existence ?) , tout ce serait mieux passer. A deux on est meilleur, c'est bien la terrible leçon que m'a appris mon affrontement contre **Superman** AKA l’extraterrestre plutôt balèze qui m'a fait peur.
En parlant de ce que tu aurais dû faire Jessica, j'aimerai qu'on parle ensemble de ton ennemi juré **Killgrave** (on m'avait dit qu'il s'auto-nommait l'*Homme Pourpre* ou *Purple Man* mais garder un pseudo un peu plus badass nous aurait privé de savoureuses blagues sur le nom de ton Némésis – puis comme vous voulez tous vous la jouer ultra réaliste, et sérieux, et sombre, le moindre sobriquet fait de trop, n'est-ce pas *Jewel* ?). Alors je ne suis pas nécessairement un modèle, je cours après le **Joker** depuis trop d'années, mais j'ai la prétention de penser que c'est parce qu'il est plutôt intelligent le bougre. Killgrave n'est pas né de la dernière pluie, je le conçois, mais ce n'est pas – de ce que j'en ai vu pour le moins – un *master mind* pareil à mon **Sphinx**. Mais toi Jessica, je me demande si l'accident de voiture survenu dans ta jeunesse n'a pas quand même quelque peu affecté tes capacités cognitives. Tes plans à coup d'anesthésiants ne sont pas trop mal pensés, mais pourquoi tant de difficultés quand on peut contrer son ennemi par l'achat en pharmacie de boules *quies* ? Je sais que tu avais treize épisodes à combler avec du rien (chapeau pour tous les flash-back inutiles, ça remplit beaucoup d'espace sans avoir à faire avancer l'intrigue), mais pour être crédible tu aurais peut-être pu faire un effort non ? Il t'aura fallu des semaines pour comprendre que mettre de la musique très fort dans des écouteurs pouvait empêcher quelqu'un de se faire entendre. A côté, le coup du bunker isolé dans un sous-terrain ça fait un peu *too much*, non ? Je suis hypocrite, le bunker servait plutôt à l'enfermer le temps d'avoir des preuves pour le conduire à un procès, ça c'est respectable.
Tu vois Jessica, j'étais fier de toi, j'étais prêt à pardonner votre incapacité à tous à vous boucher les oreilles ; ton alcoolisme qui ne sert à rien d'autre que donner un peu de relief à ta personnalité cliché alors que c'est vain puisque tu n'es ivre qu'une fois – tu as raté une belle occasion de donner un peu de tension à l’intrigue, ça aurait pu être intéressant un personnage qui dans son enivrement auto-destructeur se met et met les autres en danger (mais pourquoi aller jusqu'au bout d'un truc pour adulte ? tu veux être un peu Disney kawaii après tout) ; les énormités médicales qui ponctuent tes aventures entre celui qui prend des pilules dopées à l'hormones de méchants-garçons et l'autre dont la télékinésie est en fait la transmission d'une maladie mais qu'il peut quand même transmettre par la radio s'il se booste – je savais pas que les ondes faisaient circuler les virus, vite je pars débrancher ma free-box ; ou même l'ersatz de Robin Wright dans *House of Cards* dissimulé grâce à la couleur de cheveux foncée de l'actrice (oui parce que les séries ont encore du mal à envisager qu'une femme d'affaire peut avoir du pouvoir sans avoir les cheveux courts). Tu es stupide Jessica Jones, mais je fermais les yeux, parce qu'après tout tu étais du côté de la justice, tu voulais faire un procès à Killgrave, pas le tuer, c'était beau, c'était fort et audacieux, ce n’était pas une idéologie fasciste de droite.
Mais tu as tout gâché Jessica et c'est là que je vais me mettre en colère. Vois-tu j'applique une doctrine très forte envers moi-même, je refuse tous crimes, parce que c'est le seul moyen de ne pas devenir une figure comme l'aimerai **George W. Bush**, qui considère que la terreur permet la sécurité et qui ne voit aucun inconvénient à tuer par prévention. Tu as passé des semaines à te convaincre et à convaincre les autres qu'il ne fallait pas tuer Killgrave pour finalement lui briser la nuque sur des quais – alors que quelques heures auparavant tu laissais Luke Cage te pardonner, prouvant que la condamnation abusive n'est pas la solution et que même la pire enflure du monde comme Killgrave doit passer par la case procès puis prison. Jessica, ne sois pas étonnée quand j'irai à Hell's Kitchen pour te livrer à la police. Non j'oubliais, tu y es déjà allée, avec une avocate, et tu t'en es sortie indemne par le mensonge pour couvrir ton meurtre. On peut tous dérailler, moi-même étouffé par la haine et la peur, manipulé comme le plus simplet des pantins, j'ai voulu tuer Superman. Mais les scénaristes de ma vie ont au moins eut la décence de ne pas me laisser terminer et d'au contraire mettre en évidence le fait que j'étais devenu inhumain et monstrueux. Dans un autre de mes films, mon ennemi juré a ruiné ma vie, celle de la ville que je défends férocement, a tué une juge, un commissaire, des innocents, jusqu'à la femme que j'aimais depuis mon enfance et, je ne l'ai pas tué. J'en avais l'occasion, mais je ne l'ai pas tué parce que c'était la seul limite qui me différenciait de lui. On peut tous commettre des bavures Jessica, mais je trouve que pour une soi disante héroïne, tu as peu culpabilisé. Tes interrogations, tes doutes, menés par une voix-off faisant preuve de la plus grande paresse scénaristique, ce sont retrouvés rassurés grâce aux gens te considérant comme une grande dame. Il suffit que quelques pro-Trump t'appellent pour te demander tes services pour que tu sois fière de ton statut de justicière ? Tu es fière de dire qu'il suffit que les gens te prennent en héroïne pour que tu en soi une, même si tu te permets de faire ta petite justice criminelle toute seule ? Peut-être que ton modèle est **Captain America**, celui qui considère que détruire un immeuble en Afrique lors d'une mission n'est après tout pas si grave et qu'être encadré par le gouvernement (qui n'est, rappelons-le, PAS une dictature) est la pire des mesures despotiques. Si tu veux rejoindre des figures fascistes, je t'en prie Jessica, mais il est de mon devoir de t'en empêcher comme j'ai dû empêcher mon fils adoptif Red Hood de se venger par le meurtre.
Là où tu me fais peur Jessica Jones, c'est que tu as le soutien de ton peuple et du public qui te regarde. Tu es belle en apparence, ta vie est un conte féministe qui s'attaque de front à la question du viol, tu es entouré de couples homosexuels qui sont enfin montrés comme des couples comme les autres, il n'y a plus aucune ségrégation dans ton entourage et tu formes l'un des rares couple mixte que l'on voit à la télévision. Mais tous ces progrès sont gâchés, car en plus d'avoir une vie mal écrite par des scénaristes incompétents, tu es pourrie de l'intérieur et tu véhicules sous tes airs d'anarchiste forte une idéologie crasse, abjecte qui ne choque personne puisque chacun est hélas, bien trop habitué.

Cordialement,
Batman.