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Netflix et Marvel Studios ont eu un certain courage. Créer une série sur un personnage assez méconnu du public, éloigné des standards des séries super-héroiques récents, et oser aborder des thèmes adultes avec une certaine frontalité. Je salue donc tout à fait l’audace de miser la série sur un personnage féminin complexe et sombre. Au-delà de cet état de fait, cela fait-il de Jessica Jones une bonne série? Non. Vraiment pas, non.


Comme pour Daredevil, pourtant, la série m’a donné envie de croire en elle, et s’est dotée d’arguments solides. Tournage en décors naturels, réalisation souvent appliquée, casting - presque - solide, très bien. Mais dès que l’on aborde la question de l’écriture et du rythme, c’est tout autre chose. Jamais Jessica Jones n’aurait du durer 13 épisodes. Dès le premier épisode, certaines scènes durent, mais ne racontent rien, et très vite, se répètent. Si des pans entiers de l’histoire auraient pu être raccourcis, voire même supprimées, la série aurait été sans doute plus incisive. Le triangle amoureux de personnages secondaires est laborieux, pesant et étiré au possible, et le fait qu’il traite de trois personnages lesbiens ne le rend pas spécialement intéressant. Les histoires du voisinage sont embarrassantes tant elle sont prévisibles et faiblardes, le personnage de Trish, plutôt bien construit, montre assez vite ses limites, très peu exploité. Mention au personnage du policier / débile profond / bad guy qu’est Simpson. Au-delà de l’interprétation tout à fait horripilante de l’acteur, son introduction et le développement de son histoire est poussive et fastidieuse, à la limite du ridicule.


Les personnages principaux sont un poil mieux traités. Krysten Ritter est très juste. L’histoire de Jessica est dure, bien abordée, la question du traumatisme est pertinente. Oui, mais étirée sur autant d’épisodes, elle arrive vite à essoufflement, et manque d’évolution. On passera sur les flashbacks, qui, si ils respectent le comics, sont d’une platitude assez navrante. Mais ce n’est rien comparé à ceux consacrés à Killgrave. Dans les premiers épisodes, Killgrave fonctionne parfaitement. Le choix judicieux de Tennant pour l’interpréter y joue sans doute beaucoup, son introduction toute en retenue le rend terrifiant, inquiétant, bref, l’antagoniste réussi. Un peu comme l’introduction de Fisk dans Daredevil. Oui, mais les épisodes passent, et on arrive assez vite à une sur-présence de celui-ci, qui ruine bien vite son potentiel terrifiant. Et surtout, la série se sent obliger de lui offrir une backstory. Ce qui avait, à mes yeux, détruit le personnage du Caïd avec une origin story d’une facilité stupide et crasse est encore une fois ce qui signe la mort de mon intérêt pour le personnage. “Mon papa et maman on fé des expériansse, je devien méchan”. Oui, merci, bravo, c’est du jamais-vu. Pourquoi expliquer ce personnage? Il est terrifiant et d’une cruauté sans limite dans le comics car son action intervient d’un coup, de manière inattendue, sans plus d’explications. C’est avant tout sa relation à Jessica qui est essentielle. Si cette partie de l’histoire est assez réussie, quoique rabâchée trop lourdement, je ne pardonne pas la version de la série qui mentionne un viol physique. Non, Killgrave ne fait pas ça à Jessica, non. C’est inutile, vraiment. L’emprise mentale et le traumatisme qui s’en suit sont vraiment plus ambigus et traumatisants dans le comics.
Le constat du parcours des deux antagonistes principaux des deux séries Daredevil et Jessica Jones est vraiment douloureux. Créer des méchants crédibles, dans deux styles distincts, et les sabrer progressivement à force d’explications verbeuses ou d’abus de situations mal amenés. C’est surtout sur ce point que moins d’épisodes aurait grandement joué en faveur des deux séries.
Le personnage de Luke, assez bien introduit, est finalement assez mal cerné à mon sens. Si il constitue dans le comics un penchant doux et responsable vis-à-vis de Jessica, malgré leurs ébats sulfureux, il est ici calme et posé, mais devient caricatural bien vite dès que l’histoire de sa femme est abordée. Un pan de l’histoire en aucun cas nécessaire qui alourdit la relation Jessica / Luke, encore une fois, pourquoi ajouter trop de tragique?


Par ses scènes répétitives, bien souvent poussives, ses errances de scénario, Jessica Jones a vite dilapidé son capital sympathie. J’arrive à pardonner les séquences d’action assez fauchées, elle sont anecdotiques (la fin de l’épisode 12 reste la fausse note, tant elle ajoute un élément illogique au possible). La réalisation, si elle peut se parer d’effets plutôt élégants, finit par en faire des automatismes agaçants: une nouvelle fois, moins d’épisodes auraient donné plus de vie à l’ensemble.


C’est sans doute là mon principal sentiment devant la série. Je m’y suis ennuyé, profondément. Je ne retrouve pas toutes les qualités qui avaient donné à Alias toute sa saveur. Certains choix de la série Daredevil apparaissent ici encore plus mauvais, la mort de Ben Urich en tête. Et en évoquant Daredevil, où est ce dernier? Mentionné en coup de vent dans le dernier épisode, pourquoi n’entend-on pas parler de lui? De Foggy? De Fisk? Des évènements de Hell’s Kitchen? L’univers partagé Marvel est ici presque inutile, alors qu’il y avait des boulevards pour amener de manière intelligente des liens avec le reste des séries, voire des films. Liens qui auraient pu donner des regains de vivacité et remplacer certains développements inutiles des personnages secondaires.
Cet écueil sera peut-être corrigée dans la saison 2 de Daredevil, en espérant que la série ne ruine pas Elektra et le Punisher à grands coups de flashbacks navrants...


13 épisodes, c’est vraiment là qu’est le problème de Jessica Jones. Ce défaut, commun avec Daredevil, qui sombrait dès l’épisode 7, et ici encore plus présent. Jamais la série ne m’a tenu en haleine, malgré ses qualités évidentes. Faute à une écriture pas nécessairement mauvaise, mais pas assez forte et fournie, pas assez rigoureuse pour conclure ses différentes intrigues. On est bien loin des vastes blagues que sont Agents of Shield ou Agent Carter, c’est sûr.


Jessica Jones aurait du durer 6 épisodes, tout simplement. (Et ne pas introduire Nuke, car il est vraiment tout pourri.)

Jangho
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le 22 nov. 2015

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