Tokyo, ville en ébullition, qui vit sous le marasme d’une population étranglée par le stress et une existence dévouée à un travail acharné, va alors basculer dans la paranoïa la plus destructrice. Sans crier gare, un jeune homme à casquettes se déplaçant avec des rollers dorés agresse une dessinatrice de peluche Kawaii en vogue, avec une batte de baseball jaune. N’en restant pas à ce simple fait, les victimes vont se succéder à une vitesse folle, toutes attaquées par celui qu’on appelle le Shonen Bat. Bizarrement, toutes les personnes ayant subi cette agression, semble apaisée d’un poids, presque soulagée comme semble montrer ce générique d’ouverture avec ces hommes et femmes rigolards entourés de décors citadins détruits ou en explosion.
Les deux enquêteurs placés sur l’affaire - un jeune policier en pleine empathie avec les victimes semblant au courant de la culture geek, et un vieux ronchon, perdu dans cette génération lui paressant folle, ne comprenant pas les codes sociétaux - ne sont pas au bout de leur peine car cette affaire va transgresser leurs plus dures certitudes, voyant un récit qui se déroule tel un simple thriller policier pour petit à petit s’engouffrer dans le désarroi onirique de l’esprit humain comme si la fantome de Kiyoshi Kurosawa sillonnait la série. Paranoia agent, est une critique acide sur les démons qui paralysent ce pays nippon, qui empêchent tout épanouissement personnel et passionnel, sur cette société contemporaine qui a besoin de se sentir rassurée par son environnement, trop coincée par sa multitude de sollicitude professionnelle et émotionnelle.
Derrière cette enquête, qui longera les murs de toute la série, se dissimulent des traumas que le réalisateur va s’amuser à montrer sous toutes les coutures, pour se débarrasser de toute barrière en changeant de ton de manière équivoque sans que cela soit gênant, offrant alors, une palette d’émotions foisonnante. Le réalisateur se permet ce genre de digression car il maîtrise son sujet sur le bout des ongles. Ce format épisodique lui convient parfaitement, avec cette série presque sans faux pas, où chaque épisode a sa propre vérité. Il parlera du suicide avec la plus grande drôlerie et tristesse puis s’immiscera dans les péripéties sexuelles d’une universitaire avec la plus grande schizophrénie, tout en dévoilant la perversité d’un père envers sa fille sous couvert d’une noirceur abyssale.
Chaque habitant traîne un boulet à ses pieds, avec ses peurs et cette oppression qui le gangrène à petit feu. Ils ont tous une face cachée qu’ils ont du mal à admettre. Chaque épisode à sa propre personnalité, à sa propre identité, avec cette particularité de nous faire rencontrer le destin d’une personne différente à chaque fois, avec toujours comme fil rouge, l’amplification du phénomène Shonen Bat, qui semble apparaitre n’importe où et n’importe quand, là où il y a du désespoir, dans les recoins d’un esprit fébrile qui préfère se cacher derrière le mensonge de son inconscient au lieu de regarder la réalité qui l’accule.
Narrativement la série va prendre une ampleur de plus en plus volumineuse, où Satoshi Kon fera du Satoshi Kon, avec cette volonté de ne plus délimiter la réalité du rêve, de la fiction de l’idéal, pour faire sortir du rêve une réalité inavouable. A l’image de ce récit fluctuant, le graphisme est en perpétuel mouvement, nous faisant voyager d’un calme crépusculaire réaliste à une tempête fantastique euphorisante. Le style de Satoshi Kon transpire dans chacune des scènes, à notre plus plaisir. L’histoire de cette universitaire aux multiples personnalités destructrices fait écho à Perfect Blue, alors que les réminiscences de Millenium Actress transparaissent dans l’épisode de la reconstitution du copieur du Shonen Bat avec ce récit RPG et les incursions des personnages réels dans un décor fictif, sans parler de cette fin fantasmagorique rappelant la frénésie grandiloquente de Paprika.
Avec Paranoïa Agent, ce n’est plus un coup de maître, mais un coup de génie, où Satoshi Kon s’attaque au déchirement d’une société encombrée par son modèle social, ce phénomène de légende urbaine, qui prend forme et vie, là où les contusions individuelles peuvent avec des commérages et un effet de boule de neige, asphyxier toute une société accablée par son manque de respiration, cette obligation de résultats tant à l’école que dans la simple production d’un film d’animation.
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