Rubicon est le troisième petit bijou de la chaîne télé américaine AMC, qui monte, qui monte, à tel point que ses productions rivalisent sans peine (au moins au niveau qualitatif) avec les nouveautés décevantes proposées par les networks pour la saison 2010-2011. Après Mad Men - que, honte à moi, je n'ai toujours pas vu - et Breaking Bad - dont je fais l'éloge ici -, Rubicon, diffusée du 13 juin au 17 octobre 2010, s'impose donc comme la digne héritière de la politique qualité imposée par AMC. Le genre de série qui à elle seule justifie l'accession de la fiction télévisuelle au rang d'art, au même titre que le cinéma. Série d'auteur ? Presque, sauf que son créateur, Jason Horwitch, a quitté le navire après avoir posé les bases du récit dans l'épisode pilote, laissant à Henry Bromell et son équipe de scénaristes le soin de poursuivre l'aventure... ce qu'ils ont, pour le moment, accompli avec brio.
Autant dire que l'enquête progresse très lentement - mais sans que l'on s'ennuie, bien que la lenteur ne soit pas une qualité particulièrement appréciée dans le monde de la série télévisée. Tout se fait dans le calme, (les trahisons comme les assassinats) souvent sans qu'un seul mot ne soit prononcé : les regards sont plus importants que tout le reste. Rubicon n'est pas un récit à prendre à la légère, à regarder en dessinant ou en téléphonant. Le moindre indice, vital, échappera à la vigilance du spectateur peu attentif. On retrouve là des exigences de réalisation qui mettent la barre très haut, à l'instar de Breaking Bad. Le visuel est très travaillé, et le son, loin d'être ignoré, est mis en valeur par le silence ambiant.
Il faut avouer que l'ambiance de la série correspond à celle des locaux de l'API. Ici, pas ou très peu d'ordinateurs, relégués à la cave, derrière une grille (!) : Will et ses collègues, Grant, Miles et Tanya, réfléchissent avant tout avec leurs méninges. Il est fascinant de voir, à une époque où la technologie semble être devenue l'extension de l'être humain, ces gens brillants manipuler d'énormes piles de dossiers, écrire des idées sur des tableaux noirs cernés de photos, étudier de vieilles cartes... Les membres de l'API ont un rapport tactile face à l'information qui fait plaisir à voir, qui rappelle les grands films d'espionnage des années 70 dont s'inspire la série (notamment Les Trois Jours du Condor), et pourtant leur efficacité n'en est que plus élevée. Dans l'épisode 12, confrontés au FBI qui utilise le nec plus ultra de la technologie dans une scène rappelant les grandes heures de la série 24, deux membres ont cette réplique révélatrice :
- Tu ne trouves pas ça désorganisé ?
- Totalement.
Alors qu'ils prononcent ces mots, ils s'éloignent du brouhaha pour réfléchir posément au problème. Moins d'agitation, de technologie. Plus de jugeotte.
Peut-être est-ce pour cela que ces personnages semblent tous si seuls. Génies travaillant dans le secret de l'Etat, ils sont isolés de leur familles (l'un a des problèmes de couple, l'autre a divorcé), de leurs passions premières, voir de ce qui les rendait humains.
Loin de verser dans le pathétique, Rubicon propose une galerie de personnages criants de vérité et pour la plupart, très bien interprétés - Michael Cristofer, qui interprète le patron de l'API Truxton Spangler, est tout bonnement hallucinant et dégage une présence à l'écran comme rarement on en voit à la télévision, et James Badge Dale (Travers) et Arliss Howard (Ingram) développent un jeu tout en retenue, le premier ayant l'occasion, au fil des épisodes, de rendre plus humain et plus profond un personnage en apparence très froid. On notera aussi que, qualité de l'écriture oblige, aucun des personnages n'est inintéressant : tous ont leur vie privée, que l'on découvre lentement ; et surtout, beaucoup ont une face cachée, attachante, peu enviable, voire mystérieuse... certains personnages ne révélant leurs cartes qu'en fin de saison, faisant ainsi basculer (toujours dans le calme) l'intrigue générale de la série, dense et complexe...
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