Difficile de trouver un chemin par lequel commencer tant la richesse de cette œuvre peut me faire réfléchir encore longtemps. Avec ce film de près de 13h heures découpé en 10 volumes, le cinéaste danois Nicolas Winding Refn pousse les curseurs de son esprit cauchemardesque au maximum.
L'homme, l'artiste sombre, qui a débuté petit avec déjà ce qui marquera le centre de sa filmographie, le choc, (plus tard, accompagné du chic) la trilogie Pusher, arrive aujourd'hui à son apogée.
Si dans l'univers sériel cela fait désormais quelques années que l’intérêt cinématographique est pleinement exploité, plusieurs perles en ont d'ailleurs jaillies, il reste pourtant rare, comme dans tout art sans doute qu'une bombe soit lâchée. Qu'une expérience côtoie l'unique. Qu'un esprit marque de façon brutale et instantanée grâce à son oeuvre.
L'exemple le plus évident, bien que facile, mais justement, s'il est si facile et évident c'est qu'il n'y a pas moult concurrence dans ce domaine. Twin Peaks : The Return. Ce chef d'œuvre artistique qu'aucun mot n'a véritablement la force de qualifier. David Lynch concevant d'ailleurs lui aussi son œuvre comme un film de 18h et non une série.
Si l'un, Lynch, m’apparaît plutôt comme un scientifique fou, jouant avec les atomes jusqu'à créer l'entité qui lui servira d'appui, l'autre, Refn, me semble beaucoup plus porté sur le fantasme d'un cauchemar voulant être rêve. Là où les deux se rejoignent, hormis la lenteur, volontairement répétitive pour le premier, inéluctable pour le second, c'est dans le chaos. Le chaos éternel et dévastateur causé par l'homme.
The Neon Mayhem
Le cap passé par le danois avec son marquant Drive semble irrévocable. Il n'est plus question de revenir au hasard de la caméra à l'épaule, Bleeder et Pusher semblent loin et s'éloignent de plus en plus, je ne fais pas parti de ceux qui le regrette. Le cap fut pour moi la découverte du cinéaste et a fortement contribué à mon amour pour son art.
Drive certes, The Neon Demon également, mais surtout Only God Forgives, Hanté et marqué à jamais depuis le visionnage en salle.
Voilà pourquoi ce long film qu'est Too Old to Die Young, magnifique titre au passage, ne m'effrayais pas. Pour beaucoup ça sera sans aucun soupçon de doute, peine perdu, si le volume 1 ne les achève pas, le second qui a tout d'une épreuve à mes yeux, le fera surement.
Nul cliffhanger, nul climax, nul suspense appuyé, aucun élément faisant d'une série, une série, n'est ici ne serait-ce qu’effleuré. Le volume final d'une simple demi-heure, assise à côté des autres allants d'une heure à l'heure et demie, n'aura rien d'explosif comme il serait coutume de l'être, au contraire. Il est court, diabolique et pourtant tinté d'optimisme. (La danse de Jena est aussi mortelle !)
La morale, elle, tu te la construis, tu l'as déniche sous cet amas d'orgasme, de danse zombiesque, de sang, de néon, de musique vibrante, de symbolisme et de chaos, de pédophilie aussi !
Rien ne te seras offert si ce n'est le spectacle, loin de celui d'une fin d'année, loin d'un concert pleine air, loin du concis, du furtif, du rapide. Refn plonge tête la première et nous comme un boulet attaché à son pied nous le suivons dans ce cauchemar.
Le danois est depuis le cap (Drive) devenu un spectre de l'onirisme, il devient lui-même le cauchemar qui fantasme devenir rêve, c'est comme ça que je ressens cette œuvre. La persistance de l'humanité cherchant à s'échapper de la beauté venimeuse, le problème c'est que l'humanité ne peut s'en échapper car c'est elle qui réclame cette beauté, ce confort, cette sécurité, allant aveuglement jusqu'à la perdre et en devenir esclave.
Par le biais de l'addiction aux smartphone ou encore ces flics d'une débilité abyssale, les messages radios criant à l'apocalypse, la symbolique christique dont on préfère s'amuser, Refn exploite l'éloignement du sensé, du réel, pour nous faire subir le jugement dernier, causé par nos soins.
Le mal étant beaucoup trop fort, puissant, il est condamné aux quelques bonnes âmes qui restent de l'employer, car le mal est détruit par le mal. Les sauveurs doivent sacrifier pour purifier, mais le mal se multiplie bien plus vite et s'engendre bien plus rapidement, le démon a toujours une longueur d'avance mais l'ange n'abandonne jamais.
Refn contemple le duel infini, la quête unique, tantôt salvatrice, tantôt immondice.
Slow Must Go On
J'imagine si bien Nicolas, son vêtement fétiche autour de la taille, derrière son arme numérique couper l'action, allant doucement vers son acteur pour lui chuchoter à l'oreille : "Slower".
Zoom, travelling et surtout panos "égayent" la totalité des longs plans fixes, tous d'une beauté immaculée. Une leçon de symétrie, de cadrage, malgré quelques panos plus hasardeux que d'autres.
Darius Khondji et Diego Garcia sont ici à la photographie, d'une pureté sans nom, sublimant chaque décor. J'aimerais tant en dire plus sur cet aspect, que ce soit celui de l'image, des décors et même des costumes mais je me réduirais rapidement à des qualificatifs de type encenseurs donc je passe furtivement sur ces aspect absolument remarquables.
Une beauté venimeuse disais-je plus haut, ce rêve constamment tenté par l'horreur, le diabolique, et comme dans ces derniers, il est impossible de courir, de fuir nos responsabilités. Les personnages dépeints par le cinéaste semblent le savoir parfaitement au vu de leur lenteur continuelle.
L'humanité se perd et Refn semble vouloir appuyer ce sens en prenant le temps qu'elle gâche. Chaque action semble attendue, encore une fois inéluctable, fonçant dans le mur à allure réduite. Peu à peu le mec ou la fille finira par sortir son flingue, dans quelques secondes ce personnage répondra à l'autre, souvent par une autre question d'ailleurs, comme l'envie d'expliciter encore plus la situation, pourtant claire.
Too Old to Die Young ne joue pas, ne cherche pas, n'explore pas, tous les éléments sont déjà là, le bien, le mal et surtout la nuance, grosse nuance entre les deux, c'est dans cette nuance que l'on plonge, rien n'est tout blanc, rien n'est tout noir, les couleurs se croisent, les néons se jaugent et c'est finalement dans l'ombre que les actes les plus salvateurs et justiciers apparaissent.
Too Old to Die Young subit.
Le volume 5, le chef d'œuvre de la série selon moi, même si je ne devrais pas juger ce film sur des morceaux, est le plus représentatif de tout cela. Dès la fin du volume précédent nous connaissons l’achèvement de celui-ci, nous savons sans aucun doute que ceux qui doivent mourir mourrons, et comme nous le savons pertinemment, nous allons prendre le temps pour y arriver.
La chose qui aurait pu être réglée en cinq minutes se transforme en 1h30. Il en sera ainsi et pas autrement mais comme le temps qui passe, qui court à notre perte, qu'on ne voit plus, le danois le ralenti pour te le fait subir.
Puis bordel de merde c'est jouissif !
Un peu d'humour dans tout ce drama car merde, Nicolas Winding Refn, le gars aux héros taiseux se dévoile foutrement drôle ici ! Mon top 3 scènes, dans le désordre :
- La rencontre entre Teller et Baldwin dans le volume 1, délicieuse de décalage.
- L'intro du volume 5, le casting porno, champ contre champ d'une brutalité verbale et esthétique au combien drôle.
- Le spectacle des flics en début de volume 8, résonance christique avec la fin de l'épisode. Extrêmement drôle et pété complet.
Oui mon top 3 est principalement basé sur l'aspect comique car le décalage procuré par la lenteur se voit transformer en humour souvent débilesque. Le rêve provoque parfois ce genre de chose. Quand le sérieux glisse à cause d'une chose minime qui fait ou plutôt défait tout.
Le summum du culot, ce culot omniprésent, c'est cette course poursuite nulle en voiture électrique, fort de sens mais si impensable, si grotesque, jubilatoire !
Les Guerriers Silencieux
Quand la bêtise ne déblatère pas, ne fuit pas, le silence prend place, il est difficile d'avoir les conditions parfaites pour apprécier une telle œuvre, aussi hypnotique que silencieuse, il y a toujours un bruit environnemental pour casser le plaisir. Car oui je ne l'ai pas encore dit mais c'était du plaisir, je ne me suis pas ennuyé un seul instant.
Le silence qui en dit parfois assez pour comprendre, ressentir. Valhalla Rising se focalisait sur un guerrier muet, les deux films suivant sur un blondinet taiseux, Refn suit le même chemin ici en pointant sa caméra affûtée sur un casting choral.
Miles Teller prend la digne succession de Ryan Gosling et s'avère magnifique de complexité, il est la nuance dans l'histoire. Quand le spectre Jena Malone et l'émouvant John Hawkes sont le blanc. Face au noir, Augusto Aguilera et Cristina Rodlo.
Quand les électrons indiscernables gravitent autour d'eux, ils sont nombreux, je ne citerais donc que William Baldwin, Nell Tiger Free et Babs Olusanmokun.
Un casting qui n'a rien de bling bling, au contraire, un hollywood qui se veut aussi intime qu'effacé mais non moins bluffant, chaque acteur semble en transe permanente.
Coup de cœur pour le personnage et la perf de Hawkes qui représente à lui seul l'espoir, l'humanité essayant de sortir les poubelles de ce bas monde.
Halley Wegryn Gross, Ed Brubaker et Nicolas Winding Refn ont avec Too Old to Die Young réussi à délivrer une œuvre complète, riche, pleine de questions, aussi diabolique que salvatrice, jouissive, malsaine, drôle, froide, sexy, belle et bien d'autres qualificatifs que j'essaie de minimiser avec plus au moins de réussite.
Soulignons tout de même que le film est bercé par l'onirisme et la symphonie brutale du vibrant Cliff Martinez.
Nous sommes voués à l'échec, presque perdu, au bord de l'autodestruction, les autorités parlent de bite, l'immoralité rode, la cruauté rampe, les lumières factices des néons remplacent le soleil naturel, dans l'ombre se déplacent les sauveurs, la fin est inévitable mais l'espoir n'a pas dit son dernier mot.
De toute manière, quoiqu'il arrive, nous sommes désormais trop vieux pour mourir jeune.