"God hates fangs" (Dieu hait les crocs), la sentence est visible dès le générique country et très réussi de True blood (sur l’entraînant Bad things de Jace Everett) ; et rappelle, à une lettre près, le "God hates fags" (Dieu hait les pédés), "sainte" condamnation régulièrement brandie sur les pancartes des ultra-conservateurs américains. Alors, vampires et gays, même combat ? La nouvelle série d’Alan Ball, homosexuel revendiqué à Hollywood, a sans doute, en s’inspirant des romans de Charlaine Harris, orienté les préoccupations du vampire moderne vers des problématiques plus actuelles et plus précises (droit au mariage, reconnaissance, tolérance, faire ou non son coming out).
Vampires, gays, noirs, ce sont toutes ces "minorités" faisant peur ou attisant les haines (parce que soi-disant différentes) qui, (in)directement, sont mises en avant, à mal et à nu dans cette Amérique du sud plutôt archaïque, traditionaliste et xénophobe. On concède, mais sans permettre ; l’acceptation de l’autre et sa socialisation sont le plus souvent sujettes à des comportements agressifs (escapades punitives, dérives sectaires, attentats) qu’à de belles et parfaites harmonies. Mais cet arrière-plan "social" (politique ?) ne doit pas faire oublier que True blood est avant tout un spectacle gore et trash, déjanté et génialement vulgaire. Après cinq années d’élégance et de rigueur (Six feet under), Alan Ball semble vouloir complètement se lâcher. De fait, ce qui paraissait contenu et plus ou moins esquivé dans Six feet under (sentiments, sexualité, fantasmes et exultation du corps) se manifeste ici sans complexe et au grand jour (ou plutôt à la faveur des nuits torrides des bayous).
Dans l’ambiance cul-terreuse et surchauffée de la Louisiane, vampires et humains laissent aller leurs appétits changeants, sans tabou ni limite. De ces remous charnels et sanglants, une belle histoire d’amour parvient cependant à éclore entre deux êtres, deux cœurs solitaires qui cherchent à s’aimer, à exister dans une société rejetant et ne comprenant pas leur union jugée "contre-nature" (là encore, un parallèle avec l’homosexualité est à faire très justement).
Entre Bill, le suceur de sang charismatique, et Sookie, la serveuse un peu cruche capable de lire dans les pensées, la passion s’arrange des contraintes et dépasse tous les interdits (on pense à l’idylle contrariée de Buffy et Angel dans Buffy contre les vampires). Leur relation chaotique est très souvent malmenée par de sombres événements n’empêchant pas, néanmoins, leur irrésistible attachement. Autour d’eux virevolte, s’ébat, grogne tout un bestiaire fabuleux évoquant contes et récits de légendes avec ce qu’il faut de télépathes, vampires, ménades (Michelle Forbes, divine), métamorphes, fées et lycanthropes, accordant à True blood une atmosphère bigarrée pleine de mysticisme, de pouvoirs ancestraux, de cérémonies païennes et d’exorcismes vaudous.
Plus proche de la perversité aiguisée d’Entretien avec un vampire que des minauderies vertueuses de Twilight, True blood mélange avec plaisir érotisme, luxures variées et intrigues classiques (serial killer, confrérie religieuse, batifolages amoureux, complots en tous genres). Tous les acteurs ont un sacré sex-appeal à revendre, Anna Paquin la première qui a (très) bien grandi depuis La leçon de piano ; on sent tout de même que les garçons sont plus souvent mis en valeur que les filles par cet incorrigible Alan Ball, en particulier l’ultra-sexué Ryan Kwanten (Jason), la plupart du temps torse nu ou les fesses à l’air. Formidable patchwork de mauvais goût assumé, de couleurs, de sexe et d’intelligence dans le propos, True blood réinvente de manière exquise le mythe du vampire qui, à l’aube du troisième millénaire, a soudain fort à faire avec une race humaine plus bête et méchante que jamais.