Saison 1 géniale, saison 2 aléatoire

Twin Peaks est un pionnier des séries mystères audacieuses, qui se sont répandues à partir des 90s (comme Les 4400 ou Lost). À l'époque (1990-91), le genre est encore mal perçu, surtout en-dehors des États-Unis. Les séries se ressemblent, respectent des formats comparables et apparaissent comme de stricts divertissements, sans ambition et souvent sans originalité particulière. Mark Frost et David Lynch créent alors ce monde en vase-clos, plongeant les spectateurs dans une ville rurale de l'état de Washington, au bord du Canada, de la nature et des sentiments et passions les plus dangereuses.

Le programme est alors ouvertement marginal, à l'écart des conventions, quitte à inventer des scories ou à paraître parfois surfait aujourd'hui. Celui qui est venu au monde dix ans après Twin Peaks sera déconcerté par ce qu'il assimilera, à juste titre, à un OVNI planté quelque part entre des Feux de l'Amour transgressifs et un Breaking Bad excentrique. Le spectacle peut être difficile à suivre, car il est ultra-émotionnel et radical dans ses ruptures de ton.

Par exemple, les auteurs rendent les drames grotesques... et n'ôtent rien de leur caractère tragique et bouleversant, c'est tout le contraire ! De ces combinaisons étranges et puissantes naît un charme magique et pittoresque. Un contact intense se noue avec le spectateur (qui peut s'en trouver dégoûté, c'est entendu).

Ce qui rend Twin Peaks si fascinant, c'est sa manière de fusionner le naturalisme intrusif et les affects humains les plus nuancés dans un grand tourbillon abstrait, tout en étant le théâtre du trivial. Comme le confie Donna (Lara Flynn Boyle), c'est « le plus beau des rêves et le plus horrible des cauchemars en même temps ».

La série se donne aussi comme un chantier d'expérimentations, à l'instar de ces effets clownesques et bizarres, ces ralentis et déformations de voix. Elle multiplie les gimmicks (la femme à la bûche et ses intros – héritée des débuts de Lynch cinéaste) en les reliant habilement, crée des espaces à part entière se promettant (et finalement se délivrant) comme des matrices, la chambre aux rideaux rouges étant évidemment le grand totem mystique de tout ce labyrinthe.

Avant, ces incursions vers le thriller n'existait pas dans les productions à des destination du petit écran ; avec les séries fantastiques comme La Quatrième Dimension (qui pourrait toutefois être justement l'exception), il s'agissait de sonder ses dilemmes et ses angoisses ou aspirations universelles ; mais briser la glace, à la façon du grand puceau de Blue Velvet découvrant l'horreur et le vertige de l'essence humaine, de sa nature en action ; sans égards pour les considérations existentielles, directement dans l'organique et le monde instinctif des personnages, voilà qui était nouveau et fait toujours la puissance de Twin Peaks.

Le spectacle se poursuit avec un prequelle, le film Fire Walk With Me, le plus fou et furieux de David Lynch.

Épisode pilote
À l'instar d'une autre célèbre série de l'époque (Columbo), Twin Peaks s'ouvre sur un épisode pilote de 1h30. Tout le charme de la saison 1 y est déjà, ainsi que cette aptitude à nous faire passer par tous les (pres)sentiments.

Saison 1
Le cœur de la série, finalement : c'est la saison 1. Le mythe se résume presque à elle et ses sept épisodes, tandis que la dizaine de suivants sert plus de bonus aléatoires. Tous les grands sujets et caractères ; toutes les fondations et le mystère le plus épais sont ici. Si possible, à voir d'affilée pour une nuit (ou une journée) blanche.
C'est déchirant et absurde d'une seconde à l'autre, sans jamais se trahir, toujours en suivant un écoulement limpide. Déjà dans cette première saison se diffuse un humour décalé (comme l'est chaque aspect de la série, au demeurant), tandis que pour compléter en arrière-plan, on installe des personnages secondaires ridicules, par un caractère fade, faible ou histrionique, traités avec un subtil mélange de compassion et de sarcasmes.

Saison 2
La saison 2 compte 22 épisodes. Elle est incroyablement inégale et justement, c'est en tous points un tour de montagnes russes.
Dès les premiers épisodes, nous savons que désormais ce sera une série à tiroirs. Les grands mystères ont été exposés, une foule d'autres est à découvrir maintenant, au-delà de la grande enquête autour de Laura Palmer. La satisfaction, c'est que la tension s'accroît considérablement autour de quelques gros pôles, comme la maison de plaisirs, tandis que certains personnages se révèlent de manière inattendue. Le problème, c'est qu'il manque parfois un fil conducteur.
Après deux épisodes inauguraux un peu laborieux (des initiatives improbables, celle du confesseur par exemple), la fièvre reprend. Elle culmine entre le 4e et le 8e épisode, avec une réapparition de Bob aussi enchanteresse que démoniaque. Ce temps est peut-être le plus bouleversant de toute la série.
Puis à partir du 10e épisode, l'essentiel étant passé ; la série se répand en anecdotes, poursuit sur les affaires secondaires ; les petites excentricités surréalistes, proches du cartoon pour enfants, se multiplient ; des intrigues parallèles un peu trop méchamment soap occupent la place (certaines sont séduisantes, notamment ce qui concerne Audrey Horne).
La série suit alors un rythme presque pépère, émaillée d'étrangetés caractéristiques, sacrifiant ses dernières cartouches sans susciter de tension sur le long-terme. Quelques surprises d'un onirisme saugrenu, comme Window Hearl.
Les creux de la saison 2 confinent parfois à de vraies dépressions. Mais il n'y en a finalement pas tant que de prouesses, de folies ; en fin de saisons, des dialogues profonds s'engagent (McLahlan avec la nouvelle serveuse), les idylles totales se dessinent (des rencontres spirituelles), puis surtout les affaires reprennent : nouveaux mystères, nouvelles enquêtes. La poignée de derniers épisodes est un impressionnant pic qualitatif, particulièrement aventurière et allant au terme des possibilités, avec une dernière balade interminable.

http://zogarok.wordpress.com/2014/10/09/twin-peaks/

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le 1 déc. 2013

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