[Mise à jour saison 3] “You’re on the path, you don’t need to know where it leads, just follow”


Critique de la saison trois :



Il y a toujours fort à appréhender à retrouver quelqu’un après 25 ans de séparation, surtout quand la personne n’a pas donné de nouvelles depuis près de 11 années.


On s’accroche à des souvenirs, on se repasse des vielles photos, on ressasse les bons moments. On idéalise, peut-être, à mesure que le temps de dilate, les moments partagés.


Et puis, un bel été, on reprend, comme si de rien n’était, alors que tout a changé. Lui, nous, eux. Mais pas son univers.


L’émotion est intense dans les premiers épisodes de cette troisième saison de Twin Peaks : c’est celle des retrouvailles, la musique de Badalamenti, le visage de Kyle MacLachlan, et, surtout, l’intense et unique regard de Lynch. Ses angles, son cadre, son rythme, tout est là, avec une évidence proprement bouleversante : oui, il est de retour, et sur ce point là, rien n’a changé.


Qu’attendons-nous, dès lors ?
La nostalgie nous joue des tours, et nous fait désirer ce que nous pourrions reprocher très rapidement à l’œuvre : du fan service.


Twin Peaks a toujours été une formidable déclaration d’indépendance, et la saison 3 l’affirme avec une force qui peut s’avérer par instant déconcertante.


Tout procède par expansion : sur le territoire, la ville de Twin Peaks n’étant plus le centre des attentions, sur les personnages (certains personnages historiques à peine présents), sur le protagoniste lui-même, affublé d’un triple rôle, et dont le retour réel n’adviendra qu’à l’avant dernier épisode. Tout est dit dans ce jeu sadique : Dale Cooper était le personnage le plus savoureux de l’histoire de la série télévisée, et Lynch le défigure par le mal, ou le rend mutique. Pourtant, le génie de Kyle MacLachlan irrigue bien la totalité du show…


Ce jeu malin du créateur pourra certes irriter : Lynch (et Frost avec lui, ne l’oublions pas) fait tellement ce qu’il veut qu’il semble parfois nous oublier, voire nous provoquer délibérément. Par la durée de certaines séquences, par les mystères qui s’accumulent davantage qu’ils ne se résolvent, par l’emploi franchement déroutant de la CGI.
…mais qu’on se souvienne de ce qu’on pouvait reprocher aux deux premières saisons : un soap qui n’était pas toujours ironique, des passages à vide, aussi.


Twin Peaks est inexplicable, et se déguste par fragments, assumant parfaitement son caractère de somme à angles irréguliers. La série est très drôle, parfaitement jouée, mise en scène à la perfection, et parvient à devenir véritablement émouvante sur son dernier quart, notamment dans les personnages directement impliqués autour des rôles de MacLachlan : Laura Dern et Naomi Watts, actrices fantastiques que seul Lynch parvient à exploiter de cette manière.
Le pouvoir de fascination reste intact : la lenteur, par exemple, est de plus en plus hypnotique, et certains tableaux (la forêt, les loges, les routes, la station-service) sont dotés d’une puissance hors-norme, que seul Lynch parvient à mettre en scène.


Alors, oui : on peut accepter d’être déconcerté, bousculé, distancié. Au moins pour deux raisons.
La première, c’est la victoire de l’auteur : Lynch qui impose ses conditions de travail à une chaîne de télé, et propose tout, ou rien. Lynch qui bâtit son univers sans jamais céder à quelque pression que ce soit, quitte à perdre audience et fidèles : Twin Peaks est une œuvre aussi dense que sincère, aussi perchée qu’enthousiaste.


La seconde, c’est la victoire sur le temps : le vertige du spectateur, émotionnel d’abord, lui fait pleurer à nouveau Laura, et le saisit par la contemplation de l’univers cinématographique unique du cinéaste ; intellectuel ensuite, il le perd dans des méandres angoissants, à l’image de ce final, cri suspendu presque aussi terrifiant que l’était le regard de Dale dans le miroir qui concluait la deuxième saison.


La dernière image n’est pourtant pas celle d’un cri : c’est un doux chuchotement, hors-temps, d’une jeune fille devenue femme à un homme assis, les yeux grands ouverts ; comme nous, bloqués pour l’éternité à l’écoute de cet univers qui ne cessera jamais de chanter ses mélopées obscures.



Critique des deux premières saisons :



Pour évoquer Twin Peaks en peu de mot, gageure d’ampleur, on peut commencer par la conclusion : c’est la série totale.
Twin Peaks est une comédie. Grotesque et naïve (Andy & Lucy, Nadine…), satirique de par la micro-société à la fois capitaliste et bouseuse qu’elle dépeint, héroïcomique par les renversements constants qu’elle opère par son traitement du polar, du deuil, ou de la love story, absurde par bien des attitudes de Dale Cooper, et ironique de façon quasi permanente. C’est une série où l’on rit souvent, et ce grâce à un traitement extrêmement fouillé des personnages qui sont tour à tour ridicules et essentiels de présence, comme le major Briggs par exemple.


Twin Peaks est une série télévisée, et c’est là un des points les plus saillants de cette œuvre. Créée par Lynch, déroutante parce qu’on ne sait ce qui est à prendre au premier degré ou non, elle peut rapidement faire oublier ses origines. Mais celles-ci débordent de partout : soap, teen movie, accumulant tous les critères du genre (jusqu’à créer son propre miroir inversé, Invitation to love, la série en abyme) elle se vautre dans son registre comme le porc dans la fange. Il serait facile de n’y voir que du génie et un dynamitage subtil, pernicieux et de l’intérieur du système. Tout valider dans la série confine à l’aveuglement. Dans la deuxième saison, l’après résolution Laura Palmer patine un tantinet et certaines sous-intrigues, (particulièrement l’escapade de James Hurley chez la riche future veuve) sont franchement dispensables et ne délivrent à mon sens rien de bien substantiel si ce n’est la volonté d’allonger la sauce.


Twin Peaks est une série d’épouvante, une série fantastique sur la profondeur des bois et la personnification du Mal. Plongée derrière les apparences, dans l’infra adolescence, en deçà du réel, vers le monde du rêve et du cauchemar. Comme le disent les frères Horne dans un moment particulièrement savoureux :
“It seems that we’re 100 % certain that we’re not sure !
Jerry, obviously, something requires burning”
Qui mieux que Lynch pour filmer ces strates de la conscience ? Même si sa patte s’édulcore par moments, les arcs de la série, plutôt habilement reliés à la fin par la fusion des enjeux Palmer/Earle, sont tout droit sortis de son esprit retors. Personne n’a comme lui permis la visualisation du rêve, et la loge noire est de ces topos qui restent à vie sur la rétine.
Dale Cooper, l’un des personnages les plus attachants et fascinants du monde télévisé, y promène un enthousiasme dénué de tout cynisme, et ne se compromet que sur le tard. D’où cette fin profondément troublante, où Lynch reprend clairement ses droits et rappelle avec maestria et sadisme la signature du show.

Sergent_Pepper
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le 26 août 2013

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