Inspecteur Derrick perdu dans la Casbah d'Alger

Je ne m'attarderai pas trop au niveau de la forme, car d'un coté je m'en fous un peu, et d'un autre je n'estime pas avoir la compétence nécessaire pour ça. Ma critique sera plutôt centrée sur le fond et le message véhiculé (explicitement ou implicitement) au cours des quatre épisodes de la série.

La forme n'est pas ce qu'on peu appeler de la haute gamme. C'est correct, mais sans être à la hauteur de la moyenne des productions américaines. Le réalisateur pourra toujours se cacher derrière l'excuse des moyens disponibles (qui ne doivent pas être illimités). On déplore cela dit certains acteurs un peu aux fraises, notamment le grand-père qui vit en Allemagne, et les quelques ressorts scénaristiques difficiles à avaler. Mais bon, on est habitués depuis longtemps aux productions limite nanardesques surtout concernant l'Algérie. La date de l'extinction des bons films algériens est à partir des années 70. On a largement eu le temps de s'en remettre.

Pour ce qui est du fond, le réalisateur ne semble pas connaître la réalité du vécu des algériens au bled, ni de celle du régime en place. J'imagine qu'il a basé sa fiction sur deux trois récits et a comblé les (énormes) brèches avec son propre jus de crâne, ce qui explique le comportement fantaisiste des généraux face aux étrangers. La vérité est que jamais vous ne verrez un général (ou n'importe quel responsable) algérien menacer ou même manquer de respect au plus petit agent étranger, quel qu'il soit. Simplement parce que ces gens sont pétris d'un complexe d'infériorité tel qu'ils sont tétanisés devant n'importe quelle personne portant un gène européen ou américain. Voir le général refuser de serrer la main à un agent de la CIA est une scène qui défit toute logique et tout bon sens, du point de vue algérien bien sûr.
Aussi, la représentation des généraux est beaucoup trop élogieuse. Certes, les autorités algériennes ont protesté contre cette série, estimant qu'elle véhicule une mauvaise image des généraux, les faisant passer pour des dictateurs qui ne pensent qu'aux contrats d'armes. Mais on n'explique pas pourquoi l'armée achète autant de ferraille. La vérité est que la plupart des généraux utilisent l'achat des armes pour : d'un, s'en mettre plein les poches grâce aux opération de commissions et de rétrocommissions, où on dilapide l'argent public pour que ces gens puissent avoir un train de vie de millionnaires, voire de milliardaires (en dollars). Cette année seulement ils ont voté un budget alloué à l'armée à une hauteur de 11 milliards. De deux, l'achat des armes (même celles qu'on n'utilisera jamais) sert aussi comme moyen d'arroser les pays occidentaux (entre autres) et faire en sorte qu'on ne parle presque jamais de ce qui se passe en Algérie. Qui des médias étrangers/occidentaux dénonce ne serait-ce que les plus de 300 prisonniers d'opinion algériens (sans parler des milliers depuis les années 90), qui vivent l'enfer entre les séances de tortures et la privation du minimum nécessaire?
Autre message qui m'a un peu fait tiquer : tout le montage scénaristique qui compare la dictature militaire en Algérie au colonialisme français, sous-entendant que la méthode qui a servi à faire sortir l'un, servira pour faire sortir l'autre. Mettons nous d'accord sur une règle générale : quand un pays est un envahisseur étranger, tous les moyens sont bon pour le chasser, et en premier lieu les armes et la violence; mais quand il s'agit d'un problème intérieur, tous les moyens sont bons à part les armes et la violence. Sinon, on plonge le pays dans la guerre civile, et on donne l'opportunité au régime d'abuser du peuple et commettre des crimes sous couvert de lutte contre le terrorisme.

En parlant de terrorisme, pourquoi la série n'a pas évoqué l'idée que la plupart des terroristes qui circulent dans le pays (et il y en a très peu, contrairement à ce qu'on laisse entendre) sont la fabrication de l'armée et des services de renseignement? Pourquoi laisser planer l'idée que le pays est exactement au même point que les années 90?

Pour conclure, il serait ingrat de ma part si je ne remerciais pas l’audace du réalisateur, car au moins il a apporté un point de vue critique concernant le régime algérien, bien que parfois un peu caricatural et ponctué de quelques incompréhensions quant à la réalité de l'Algérie. Je comprends la volonté de simplifier l'intrigue, tout comme je comprends les contraintes scénaristiques et budgétaires, mais je pense que le résultat aurait été bien meilleurs s'il y avait moins de fiction et plus de réel.