Je suis allée au bout de la saison 1: si j' m'étais arrêtée aux 3 ou 4 premiers épisodes, ma critique et ma note auraient été bien plus amères. Mais il faut lui reconnaitre ses qualités, c'est une série au-dessus de la moyenne, un univers au visuel futuriste soigné servant de cadre à un thriller orienté sur l'action plus que sur la réflexion et gardant cela à l'esprit, c'est haletant, bien réalisé, immersion garantie.
On avait promis des moyens: ils y sont et les influences dont on parle sont là aussi: Blade Runner et ses villes aux gratte-ciel parsemés de lueurs multicolores sous un ciel drapé de lourdes vapeurs nocturnes où planent avec grâce les véhicules du futur, Matrix pour les beaux combats chorégraphiés(au sabre notamment) et l'allusion à l'esprit qui maitrise la matière, Ghost in The Shell pour l'ouverture des univers virtuels, la présence d'IA et de corps synthétiques. De fait, on navigue en terrain familier, on retrouve ce qu'on a aimé ailleurs(qui ailleurs a été traité avec la profondeur et la cohérence dont on ne s'encombre pas ici) et l'univers de Altered Carbon nous semble moins disparate qu'il ne l'est en réalité: un décor magnifiquement futuriste pour un film d'action, une enquête musclée sur un sordide fait-divers, les bons, les méchants et restons légers sur les questions d'éthique, de philosophie, de psychologie...!
Ma déception au départ était due au simple fait que j'espérais voir une vraie série de SF... débouchant sur une vraie réflexion. Eh non! Le pilote donne le ton: le personnage principal est balancé dans l'enveloppe d'un banal Musclor et fera immédiatement la démonstration de toutes ses capacités physiques. Car bien que les corps ne soient que des enveloppes transitoires, ils sont pourtant ce qui domine le monde d'Altered Carbon: force et capacités de combat, apparence, sexe et source de souffrance. N'est-ce pas un paradoxe?
J'ai eu vraiment du mal dans les premiers épisodes à admettre ces prises de possession de corps(considérés comme de simples enveloppes), comme normales, sans effets secondaire et incroyablement faciles. Aucun souci d'identité, pas de trace du précédent propriétaire, aucune considération sur les effets de la dépersonnalisation à répétition... comme si le corps n'était pas vivant, comme si le corps était séparé de l'esprit, comme si la délicate architecture de neurones du cerveau ne se construisait pas à travers les interactions du corps avec son environnement, comme si chaque cellule ne conservait pas dans son ADN la mémoire de ses expériences. Non, pas de problème, on saute dans des sous-vêtements usagés et hop! c'est parti! Avec des corps synthétiques, des clones ou injecté dans le virtuel c'est encore une autre réflexion.
Étrange cette foultitude de matière à réflexion simplement mentionnée, évoquée au passage comme un accessoire du décor qui ne sera pas développé: des planètes colonisées en pagaille, les transmissions stellaires pour s'y rendre instantanément, des aliens(?), des corps synthétiques ou des clones, les mondes virtuels, l'immortalité potentielle... etc... une multitude de concepts déjà rencontrés dans d'autres œuvres, mais qui là ne figurent que comme une toile de fond, un décor qui ne semble pas avoir beaucoup affecté le comportement humain: les riches et puissants, encore plus riches et puissants se contentent d'assouvir leurs instinct les plus triviaux: sexe, violence, luxe ostentatoire, ils promènent toujours leur désœuvrement blasé en sirotant leur alcool dans des verres à pied: querelles matrimoniales, jalousie, chantage, bref rien n'a changé.
Alors, autant laisser de côté cette part de nous-même qui s'acharne à réfléchir pour jouir simplement du spectacle: il vaut le détour. Ne boudons pas notre plaisir à suivre un excellent thriller à l'action spectaculaire et bien dosée. Certes aucun des protagonistes ne m'aura particulièrement touchée: héros musclé à toute épreuve, flic sud-américaine jolie et incorruptible, galerie de brutes, tyran mégalo avec sa tribu infantile... et IA sympathique. Mais ça fonctionne parfaitement, la trame narrative nous tient en haleine jusqu'au bout, enquête pleine de rebondissements, scènes de combats, meurtres et tortures, des révélations et des précisions dans la 2ème partie de la saison viennent apporter plus de cohérence et de logique à l'ensemble.
C'est beau, c'est lisse, ça nous laisse avec la satisfaction d'avoir vu un très bon techno-thriller, et en arrière-plan la sensation de s'être fait embarquer en éludant volontiers toutes les interrogations. Peut-être que la suite ne se contentera pas de passer en catimini à côté de ce qui aurait vraiment de l'intérêt: des questions philosophiques, religieuses, l'identité, la valeur de la vie, l'impact sur le psychisme de partager l'expérience d'un autre corps et de ne plus se posséder soi-même, les conséquences de l'immortalité... Que de questions, à peine survolées parfois, ça et là, l'espace d'une réplique et aussitôt balayées par un coup de poing ou l'explosion d'une grenade.