Si Band of Brothers se voulait être le portrait d’hommes réussissant à braver l’enfer de la guerre par un esprit d’unité, The Pacific prend une approche bien différente en se mettant à hauteur d’individus débarqués dans des contrées étranges contre une ennemi incompris. Et pour cause, les théâtres d’opération sont aux antipodes l’un de l’autre, et si l’Europe représentait une campagne de libération, le Pacifique tendait plus vers la revanche pour Pearl Harbor. Alors ces hommes que l’on va suivre s’engagent pour une simple raison: tuer du japonais. Un patriotisme simple, exploité par le gouvernement pour les envoyer dans les pires bourbiers du conflit : “you’ll be eye to eye with japs!” annonçaient les recruteurs.
Mais dès les premiers épisodes, on sent que quelque chose cloche. La temporalité est volontairement confuse, mêlant jours et semaines dans des cauchemars fiévreux qui nous immiscent dans la psyché de ces hommes, ces gamins, perdus à l’autre bout du monde, dans des terres tout aussi hostiles que l’ennemi. De la première incursion à Guadalcanal au purgatoire de Pavuvu, en passant par les déluges de Cap Gloucester, l’isolement de Peleliu, les charniers d’Okinawa, et la boucherie d’Iwo Jima, The Pacific multiplie les situations et renouvelle les enjeux par un accroissement perpétuel des difficultés rencontrées, comme autant de cercles de l’Enfer qui s'empilent les uns sur les autres. Un effet de redondance se crée, servant le sentiment désespoir. Il n’y a pas de lumière au bout du tunnel, juste la fange et la mort.
Le spectateur se retrouve aussi perdu que les soldats, ignorant des décisions stratégiques qui mènent à tel ou tel massacre. La raison s’efface pour laisser place à l’aliénation, au besoin machinal de survivre. On était là pour tuer des japonais, et on ne désire in fine plus rien que de l’eau, du sec, du réconfort. Les élans patriotiques sont balayés tandis que la vacuité de l’ensemble se fait prégnante. Les motivations initiales se meuvent lentement en une incompréhension face aux attendus. On est parti se battre pour son pays, et on finit par tuer pour l’homme qui se trouve à côté de soi.
Non content de nous rendre hagards dans ces batailles, la série se permet quelques parenthèses plus calmes pour approfondir certains de ces portraits. De l’escale australienne, qui sonne comme un rêve tournant rapidement au cauchemar lorsque la réalité revient au galop, on retiendra les prémices de l’impossible reconstruction à venir. Du séjour à l’hôpital militaire, un Leckie pourtant à bout s’estimera chanceux face à ses pairs, détruits de l’intérieur. De la romance fugace de Basilone au pays, seule l’impossibilité de réintégrer la vie civile ressort. La galerie de personnages est assez large pour réussir à donner un échantillon représentatif de ces gamins, de leur raison de se trouver sur place, et des conséquences d’un tel massacre sur leur avenir. Ceux qui reviennent au pays sont condamnés à des terreurs nocturnes, des hommes bien différents de ceux partis quelques années plus tôt, à qui l’on a dérobé leur jeunesse. Des coquilles hantées.
Je vois souvent sur ce site des critiques qui font de The Pacific une version inférieure à son aîné, les comparant sur des échelles identiques. Alors certes, les deux séries sont impressionnantes dans leur reconstitution, parsemée d’un casting de presque inconnus à l’époque que l’on présent plaisir à redécouvrir bien des années plus tard (ici Jon Bernthal et Rami Malek par exemple), et d’un budget conséquent qui se voit à l’écran. Mais l’ambition narrative est bien différente, ne se contentant pas de transposer un schéma similaire sur un autre front. Non, The Pacific est parfait dans sa complémentarité, et passionnant dans sa singularité. Une plongée dans la tourmente qui érafle pas mal les à prioris patriotiques et la notion même de figures héroïques. C’était des hommes, perdus à jamais dans la bêtise humaine.