"You can't be a half gangster"
Boardwalk Empire est le nouveau fer de lance de la célèbre HBO et, en mon sens, l'une des meilleures séries de la première décennie de ce vingt-et-unième siècle. Le réalisateur tant que les producteurs ainsi que le casting est le gage de qualité de cette série. On retrouve évidemment Terence Winter après l'excellent "Les Sopranos" à la réalisation, et les pas moins connus Scorsese et Wahlberg. En ce qui concerne la distribution, on retrouvera l'excellent Steve Buscemi (The Big Lebowski, Reservoir Dogs), magistral dans le rôle d'Enoch Thompson, Stephen Graham (This is England) qui incarne magnifiquement le rôle d'Al Capone ou même Geoff Pierson (Tom Matthews dans Dexter), plus discret ainsi que John Rue (Les Infiltrés). Un autre acteur, moins connu, est Michael Shannon (Un jour sans fin, Take Shelter), et je tiens à le citer pour l'excellence de son interprétation de l'agent fédéral de la Prohibition, qui intrigue par ses tourments et sa versatilité.
Le cadre contextuel se place évidemment dans l'histoire de la Prohibition. Si Winter n'insiste pas sur le plan historique ayant mené à la ratification du 18e amendement et du Volstead Act. Il faut tout d'abord savoir qu'il ne s'agit pas d'un mouvement unilatéral étant donné que le Canada (d'un point de vue provincial uniquement) et la Russie et même quelques États américains ont précédés les États-Unis. La Prohibition commença effectivement en 1855 dans 13 États dits "Dry States". Le mouvement interne se développe jusqu'en 1916, 26 des 48 États étaient déjà "secs". Trois ans plus tard, la Prohibition s'étendit jusqu'au niveau national, suite à la signature du 18e amendemant, le 29 janvier 1919. Cette décision est le résultat de plusieurs facteurs, dont les Ligues de la Tempérances - dont la Woman's Christian Temperance Union - qui est mentionné dans la série, mais aussi la germanophobie inspirée par la volonté pangermaniste de la Première Guerre qui, quant à lui, est plus ou moins passé sous silence à l'exception de quelques remarques biens senties à l'égard de ces "sales boches". Seulement, le rapport entre les Allemands et l'alcool - bien qu'anecdotique - n'est pas suffisamment expliqué. En effet, à l'époque, bon nombre de brasseries étaient tenues par des familles Allemandes. Ce qui s'en suit, de cet amendement, fut l'apogée de la Mafia et de la contrebande. L'alcool affluait aux frontières, de provenance d'Europe, principalement de la Grande-Bretagne et du Commonwealth. L'alcool de contrebande était distillé dans les "moonshine" et était revendu dans les "speakeasies" (le nom vient d'une phrase que répétaient les barmans : "Speak easy" = "Parlez doucement" (le tout était de ne pas se faire repérer)).
Les anachronismes sont rares. Je n'en ai trouvé que trois et, pour ce faire, j'ai dû me renseigner. Et, autant le dire, ils sont quasi insignifiants ; les robes courtes ne sont arrivées qu'entre la moitié et la fin des années 1920, le terme "Oncle Tom" (tiré de la nouvelle de Harriet Beecher-Stowe : http://sens.sc/RcOX0v) n'est devenu péjoratif qu'en 1960 avec l'ascension du mouvement Black Power et enfin, la chanson "You Must Have Been a Beautiful Baby" n'a été produite qu'en 1938.
Voilà donc une série dans laquelle il n'y a rien à jeter : distribution, production, réalisation et même les décors dont la qualité me laisse encore pantois. Et c'est avec impatience que j'attends les futures saisons, en espérant qu'elles prennent en compte l'ascension d'Al Capone au sein de la Mafia et la problématique du danger des distilleries clandestines qui n'a pas encore été exploitée.
P.-S. : Mes connaissances concernant la Prohibition proviennent d'un travail que j'ai dû réaliser dans le cadre d'une exclusion temporaire de l'école à cause, justement, de l'alcool. Remarquez l'incroyable ironie du sort, étant donné qu'une morale anti-alcool était censée sortir dudit travail. À croire que, près de 80 ans après, certains n'ont toujours pas compris que le seuvrage n'était pas la panacée.
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La série finie, je relis cette critique qui me semble sortie d'un autre temps. J'ai probablement du l'écrire au détour de la troisième saison, mais toujours est-il que maintenant, tout est bel et bien fini. Mon avis n'a globalement pas changé entre temps, ce qui me permet de féliciter la constance de la qualité de la série, tout en applaudissant la finale qui se tient au strict opposé de ce à quoi je m'attendais. Je ne sais pas réellement à quel point la réalisation s'est écartée de l'Histoire en ce qui concerne certains éléments, Enoch Thompson ayant somme toute "disparu" de l'Histoire contrairement à Al Capone qui s'est fortement ancré dans la mémoire de tous. Toujours est-il que l'on peut dire que la boucle est bouclée, et avec un noeud plat, de sorte à ce qu'elle ne s'ouvre pas et, quand bien même cela m'attriste, je ne peux m'empêcher de féliciter la réalisation pour une fin aussi pleine de sens que celle-ci.
S'il fallait donner une conclusion à Boardwalk Empire, et pour exemplifier la magnifique circularité de cette série, je citerais James Darmody dans tout premier épisode: "You can't be a half gangster, Nucky. Not anymore."